En juin, j’entends les voisins tronçonner le bois. Pourquoi ce rituel annuel, je ne sais pas, mais puisque la scie ne cesse, autant raconter mon dernier rêve.

À bord d’une automobile, je roule sur une route serpentine. Le périple s’allonge, interminable. D’ailleurs, je bâille au volant, car rien ne rend moins monotone le paysage, ni carrefour ni agglomération, aucun relief sur ce plateau recouvert de sable ocre, éblouissant sous le soleil de plomb. Les yeux plongés dans l’ombre du ruban noir pour ne pas larmoyer, je n’ai pas croisé de véhicule depuis mon départ. Seuls les virages qu’une entreprise routière avait imaginés pour tenir en éveil les voyageurs au long cours m’empêchent de m’assoupir. Au détour en épingle à cheveux d’une ellipse particulièrement tordue, j’aperçois une silhouette dans le rétroviseur et me dévisse le cou pour mieux la distinguer par la lunette arrière. Elle a déjà disparu.
En maugréant contre l’absurdité des rêves et des mirages, je reprends fataliste ma veille quand je comprends trop tard le trompe-l’œil : dans le miroir, le reflet a signalé derrière moi le piéton que je n’ai pas encore croisé à l’autre extrémité de la boucle. Au milieu de la voie, il surgit en face, au travers du pare-brise.
L’auto-stoppeur m’adresse un joyeux signe de la main, il brandit de l’autre un grand carton au bout d’une perche.
Je freine, je dérape, les graviers giclent, les roues crissent et hurlent à la brûlure du goudron, je mords la chaussée, le sang goutte sur ma lèvre. Malgré mes soubresauts dans l’habitacle, entortillée dans les draps qui me ceinturent, je n’évite pas l’impact et percute l’auto-stoppeur et son panneau. Nous volons dans le précipice creusé à l’instant propice.
La chute est courte. Je me cogne la tête sur le mur en m’éveillant brutalement, un liquide ferreux dans la bouche après la morsure, et pas moyen de me souvenir de l’inscription tracée sur la pancarte.

Je déteste souffrir d’amnésie partielle en cours de rêve. Toute la journée, je cherche à retrouver la mémoire.

Illustration du bandeau © Keigo, dessinateur japonais d’images nonsense que j’aime beaucoup.

 

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