Les Mar­tiens sont toujours en train de débarquer

Lundi, vous prendrez bien un cocktail French Dick ? Le mélange bouscule les neurones et les déconstruit en un jeu de cubes intéressant, loin des déclarations un peu ridicules des nouveaux théoriciens de la SF selon leur bréviaire utilitariste (et militariste). Lorsqu’ils invoquent Dick, ils pêchent leur caution dans un dictionnaire de citations comme les minables détrousseurs d’Orwell. Je ne sais pas ce qui m’agace le plus dans leurs remontées gastriques, leurs conclusions perverties ou le discours préparatoire à celles-ci pour les faire gober.

« Lors de mon séjour en France, j’ai fait une expérience intéres­sante : j’ai connu ce qu’était la célébrité. Dans ce pays, je suis l’auteur de SF le plus aimé, le meilleur de tous (je vous le dis pour ce que ça vaut). J’étais l’invité d’honneur du Festival de Metz, auquel je me suis déjà référé, et j’ai prononcé une conférence qui, chose qui m’est typique, n’avait pas le moindre sens. Même les Français ne purent la comprendre, en dépit d’une traduction. Lorsque j’écris le texte d’une conférence, quelque chose se détraque dans mon cer­veau. Je dois m’imaginer que je suis une réincarnation de Zoroastre et que j’apporte des nouvelles de Dieu. C’est la raison pour laquelle je m’efforce de faire le moins de conférences possible. On peut me contacter, me proposer d’importantes sommes d’argent pour en faire une, je trouverai un prétexte vaseux pour me dérober. Je répondrai n’importe quoi, un mensonge flagrant. Mais le fait de me trouver en France et de voir tous mes livres dans des éditions magnifiques et coûteuses, et non en petits formats de poche avec ces couvertures dont Spinrad dit qu’elles vous arrachent les yeux, ce fut fantastique (dans le sens de l’irréalité).

Éditeurs et directeurs littéraires rôdaient de toutes parts, de même que les media. Je fus interviewé de huit heures du matin à trois heu­res et demie le lendemain, et j’exprimai comme à mon habitude des choses qui reviendront encore me hanter. Ce fut la plus belle semaine de ma vie. Je pense que là-bas, à Metz, je fus réellement heureux pour la première fois de ma vie…

Non parce que j’y étais célèbre,mais parce que toutes les personnes présentes étaient tellement excitées. Les Français sont saisis de fré­nésie lorsqu’il s’agit de commander un repas ; c’est comme les vieil­les discussions politiques que nous avions à Berkeley, sauf que seule la nourriture est en question. Le choix d’une rue pour se rendre d’un point à un autre implique l’attroupement de dix Fran­çais qui crient et gesticulent, avant de s’égailler dans des directions différentes. Les Français, tout comme Spinrad et moi-même, envi­sagent les possibilités les plus improbables dans chaque situation, ce qui explique sans doute ma popularité dans leur pays. Prenez un certain nombre de probabilités et les Français, tout comme moi, choisiront la plus insensée. Je me trouvais donc enfin chez moi. Je pouvais devenir hystérique au sein de personnes que l’acculturation avait habituées à l’hystérie, des gens incapables de prendre des décisions ou de passer aux actes en raison du drame engendré par tout choix.

C’est la raison pour laquelle j’aime la SF. J’aime en lire, j’aime en écrire. L’auteur de SF ne recherche pas simplement les possibilités, mais les possibilités les plus folles. Ce n’est pas un simple : « Et si… », mais un : « Mon Dieu, et si… » frénétique et hystérique. Les Mar­tiens sont toujours en train de débarquer. »

(À Suivre) 52, mai 1982, « Philip K. Dick, la rédemption par l’humour », illustrations de François Bourgeon – Extrait de la préface à Dédales démesurés (Casterman), anthologie dirigée par Alain Dorémieux, traduction d’Alain Dorémieux et Jean-Pierre Pugi.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.