Mon esprit se noie dans une bouillie de pensées. Elles se mêlent et s’emmêlent, s’éparpillent, se superposent en strates serrées de détails pragmatiques, voire engluées dans le gras de vidange que la chasse d’eau de ma cervelle ne réussit pas à évacuer, d’idées grandioses évaporées en particules d’atome, de bribes de raison, de souvenir, de réflexion, tenaces comme des salissures sur le coton après la lessive et dont l’origine se perd dans la trace délavée. Toute seconde leur est consacrée. Je rêve et, souvent amnésique, je les oublie à la fois soulagée d’échapper à leur emprise et frustrée par leur existence inconsciente. Plus intruses que mon ombre au soleil, elles résistent à l’obscurité tandis que j’étire un bras au réveil, elles grouillent dans l’escalier que je monte ou descends, elles pèsent pendant que je mange et digère, elles s’escamotent dans la bonde en abandonnant quelques détritus au fond de l’évier après la vaisselle. Fugitives, elles se dispersent comme un banc d’alevins quand je parle en gesticulant à mon interlocuteur, provisoirement muet, ou quand je l’écoute, et chacun tour à tour s’évertue à extirper un discours intelligible de son brouet de pensées informulées. Toute seconde profite à leur prolifération incontrôlable. De leurs apparitions, de leurs traces, de leurs échos, je tente en vain d’organiser la cohérence, et par dépit, je la crée lorsque j’écris.