Ces quelques jours, je décélère enfin et je jette un coup d’œil dans le rétroviseur, l’occasion de revenir sur la Ligue des écrivaines extraordinaires, seconde manche des romancières mythiques contre les monstres.
À l’orée du XXe siècle, trois dames ont marqué la culture littéraire, deux que tout le monde (ou presque) connaît, Selma Lagerlöf et Virginia Woolf, et une troisième plus confidentielle qui fut pourtant une incroyable agitatrice entre 1920 et 1940, Renée Dunan : nos héroïnes. Cependant, plutôt que vous rebattre les oreilles (ou plutôt la vue) de leurs prouesses à une époque où les femmes ne votaient pas, je souhaite parler un peu plus des récits modernes.
En septembre (parution le 20 septembre 2021), trois romans vous embarqueront dans des aventures entreprises à la mode pirate, l’aventure pour l’aventure et un désir de liberté, un abordage devenu rare rédigé par des femmes alors qu’elles l’avaient largement investi (souvent sous pseudonymes masculins) les deux siècles derniers, et avec succès. Rien de plus naturel pour nous d’écrire du pulp d’aventures, nous qui aimons les îles au trésor, les explorations mystérieuses, les événements incroyables, la fiction qui suspend l’incrédulité avec un objectif franc et massif de distraire n’importe qui apprécie en lire. Notre militantisme se situe en amont des récits, nous ne réclamons rien à travers eux, nous ne nous approprions pas notre culture commune, car elle nous a toujours appartenu, et nous lui ajoutons notre dimension sans nous dissimuler, c’est la réalité et le monde n’a qu’à s’y faire.

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Après la première partie de la Ligue, qui mettait la pâtée à Dracula, Carmilla, Frankenstein, aux momies et aux lycanthropes, ainsi qu’à quelques vilains et méchantes, c’est au tour des trolls, des grands anciens cthulhuesques et des mutants de se prendre une volée de bois vert. Astucieuses, parfois retorses, bourrées de courage et imprégnées d’humanisme, les écrivaines extraordinaires affrontent des événements hors du commun sans pour autant perdre le sens de l’humour, le sel des aventures réussies.
Trois romancières pour investir nos mythes récents et trois écritures personnelles de nouveau, nous ne cherchions pas l’uniformité du ton, mais la conjonction de récits indépendants autour du concept « universe », et ça marche !
Pour Selma Lagerlöf contre les trolls, Laurianne Gourrier a choisi la voie écologiste du conflit entre la nature, incommensurablement plus vieille que l’humanité, habitée par les trolls et le petit peuple invisible de Scandinavie depuis bien plus longtemps que les hommes. Un pacte de paix très ancien, oublié, est rompu par la bêtise des ignorants du monde moderne, lesquels déchaînent leur colère destructrice depuis leur fief dans les forêts que l’expansion humaine menace. Selma Lagerlöf connaît la vie secrète de ces créatures, l’une l’embarrasse quotidiennement, un avorton aux manières impossibles, et elle sait que face aux trolls, la société dite intelligente ne résistera pas. Pour préserver la paix, elle doit rétablir le pacte, et très vite, car un seul troll suffit pour dévaster une ville, elle en fait les frais tandis qu’elle se lance à sa poursuite en claudiquant ; elle est boiteuse de naissance. Dans le roman de Laurianne, on réside dans le manoir familial aux abords des flancs montagneux couverts de forêts, dans un milieu désormais appauvri qui accepte par la force des choses l’activité professionnelle de leur fille, on est plongé dans les relations sociales du village qui s’éloigne peu à peu des archaïsmes pour adopter le nouvel ordre économique et industriel, on traverse un grand lac, on visite une ville provinciale et sa vie mondaine. Crimes, naufrage, destructions succèdent aux phases plus contemplatives, avant de s’achever dans un final dramatique au souffle épique.
Sushina Lagouje a préféré l’humour gouailleur de la comparse, Sarah, pour raconter l’aventure de Virginia Woolf contre Rhan-Tegoth, une terrible jeune femme, débrouillarde, dénuée de respect pour la société britannique et les conventions, qu’une touche d’illégalité n’effraie pas, une cynique au grand cœur évidemment. C’est elle qui dresse le véritable portrait de Virginia, de ses faiblesses et de son incroyable force lorsque l’extraordinaire écrivaine résiste à la pression sociale, incarnée par son paroxysme, un ancien dieu lovecraftien adoré par des hommes assoiffés de pouvoir. Virginia a cependant renoncé, elle a cru fuir et se cacher dans un hôtel, perdu sur la côte de Cornouailles, un endroit qui lui rappelait son enfance heureuse, mais elle s’est jetée dans le piège tendu par son persécuteur. Abandonnée par sa famille, son mari et ses amis qui l’estiment folle, la romancière découvre en Sarah la confiance et le soutien actif pour combattre un destin peu enviable, et même pour vivre une histoire d’amour. Bourré d’humour au second degré, de dialogues inconvenants et d’abus d’alcool, le texte se déchaîne pourtant en descriptions terrifiantes de monstre émergeant de l’océan, de manigances occultes, d’écrits maudits et de massacres jusqu’au dénouement digne des meilleurs films de la Hammer.
Le cas George Spad mériterait une histoire… et d’ailleurs, elle l’a obtenue il y a quelques années, mais nous nous intéresserons ici à son roman l’Homme chimérique, retitré Renée Dunan contre les mutants. Peu de choses semblent avoir effrayé Renée Dunan lorsqu’elle devient, après 1920, une romancière et nouvelliste de tempérament, anarchisante et féministe, le récit en explique la raison : après avoir vécu pareille aventure au cœur des Flandres dévastées par la guerre de 14-18, un caractère déjà bien trempé ne s’apeure plus devant le qu’en-dira-t-on. À Paris, Renée végète, secrétaire quand elle se rêvait reporter. Sur un coup de tête (et de chance), elle décroche une mission pour un journal minable et part sur le front voir cette guerre de près chez les civils. Elle atterrit au milieu de nulle part, une plaine labourée par les obus, un village détruit, à part un estaminet, rescapé du carnage. Dans cet îlot, elle rencontre d’autres naufragés de ce conflit démentiel, en rupture de société, son ami pacifiste Théo Varlet, des libertaires, de brillantes étrangères, des enfants brutalisés par l’imbécillité guerrière, huit protagonistes dépeints avec verve et attention. Elle découvre aussi un complot fomenté par un richissime scientifique américain, E. Lectrod, le marionnettiste de méchants vraiment méchants. Mené nerveusement comme une série B à leur époque faste, avec la chaude et brusque familiarité des écrivains de la Grande Guerre, le récit ne raconte rien de moins que l’histoire d’une poignée d’individus sans armes, mais déterminés, qui sauvèrent le monde des mutants créés par un savant fou.
Sans fausse modestie et sans fatuité excessive, si vous aimez les romans d’aventures, le pulp, les émotions et les palpitations, ces trois titres sont écrits pour vous, je n’en ai aucun doute, promesse de directrice de la collection, si je mens, j’irai en enfer (mais je ne mentirai pas non plus en prétendant que le paradis m’attire 😉 ).

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