Hier, j’étais dans le cake : rentrée tard dans la nuit de dimanche à lundi, après un périple étrange qui nous dévia de la route, réputée rectiligne pourtant. Bruxelles n’en finira jamais de nous perdre ! – à moins que le GPS… mais ça ne se dit pas, la machine est infaillible. Le matin, une autre bizarrerie mécanique a achevé de me convaincre qu’un sort planait au-dessus de ce trajet, l’auto de Nathanaëlle, mon tendre chauffeur, et la nôtre refusaient de démarrer, exsangues d’électricité, les batteries à plat. Sans rire, une, d’accord, mais deux ? Je ne vois que la contamination surréaliste (honnêtement, je conçois d’autres scénarios, mais je préfère celui-ci). En bref, les voitures n’étaient pas seules en rade, moi aussi. Alors je rembobine pour reprendre le fil avec plus de peps !

Bruxelles… la journée s’annonçait magnifique et tint ses promesses. Dans les grandes cours autour des bâtiments de la Foire du Livre, les visiteurs de ce tout début d’après-midi marchaient avec la mollesse de ceux qui savourent la tiédeur oubliée pendant l’hiver. Si les plus circonspects s’étaient munis d’un manteau, la plupart avaient tombé les pelures et comme les oignons nouveaux, offraient leur chair pâle au soleil (oui, oui, l’image est potagère, hum). Après le passage du guet ordinaire à présent, j’ai découvert les vastes salles successives de la fourmilière géante emplie de milliers de livres. Sous les hauts plafonds en charpente de bois et d’acier, parcourus de tuyaux métalliques, la voûte vrombissait de bruissements du papier qu’on feuillette et des conciliabules à mi-voix de lecteurs (après le potager, les insectes, hum). Ma cellule chez les Indés se trouvait « partie 3, stand 323 ». À l’instant, j’imagine, aujourd’hui, ou peut-être les ont-ils repliés cette nuit, une armée d’ouvriers empilant le mobilier et démontant les innombrables parois amovibles, l’affairement grouillant de la semaine précédente évanoui en quelques heures.

Dans notre niche éditoriale, l’atmosphère était joyeuse : chicon libre y chocolat, pour paraphraser Thiéfaine, la cerveza a coulé dans la soirée d’ailleurs. Le chicon… pour les étrangers à la belgitude, c’est une endive, et les deux qu’ont exposés Sara Doke et Damien Snyers devant leurs romans affichaient notre humeur : ici, nous ne nous prenons pas au sérieux, sinon quand nous écrivons. Pour le chocolat, je ne vous explique pas, il y a des tentations auxquelles peu de chalands résistent. Après les retrouvailles affectueuses avec mes Moutons électriques, j’ai eu le plaisir de revoir Nathalie de Mnémos, et j’ai rencontré des personnes aussi souriantes qu’elle l’est, Damien, cité plus haut, Jean-Laurent Del Socorro, Franck Dive — que j’aurais pu croiser avant puisque nous résidons à quelques kilomètres l’un de l’autre din l’coin d’el’ mines d’ichi —, et Ariel Holzl… pour ce dernier, je ne sais pas si j’ai eu affaire à l’entité complète, car il dissimule peut-être une extension cthulhuenne bien moins rieuse sous son bonnet. Quoi qu’il en soit, le sourire dominait notre stand, celui de Sara en tête. Nous nous sommes beaucoup amusé entre nous et avec les lecteurs, tous sympathiques et intéressés par nos livres, et que peut mieux ravir des auteurs en vadrouille sinon profiter de leur attention chaleureuse ?

Intermède à l’intention du Carnoplaste pour confirmer à Robert Darvel que Charlotte Caillou contre les Zénaïdes est bien un roman jeunesse : il attire tous les enfants de 13 à 110 ans !

Plus tard, j’ai enfin vu la capitale, de nuit, lors de la longue marche en direction du restaurant éthiopien, réservé pour le dîner par le boss des ovins, André-François Ruaud. Je précise que les notions de distance des deux arpenteurs infatigables que sont Mérédith Debaque et André — une accoutumance à la transhumance dans les alpages bordelais ? — ne ressemblent en rien avec la réalité qu’a affrontée mon corps d’auteur, moulé pour l’usage du fauteuil. Mais j’ai survécu à l’épreuve grâce à mes porteurs… non, je ne me prélassais pas au creux d’un siège en lianes, il s’agit de mon sac plein — note importante : ne plus prendre de grands sacs pour éviter de l’alourdir avec des objets rectangulaires. La balade n’en demeure pas moins fantastique ; guidés par Sara et Pierre, les pierres racontent une histoire et les endroits s’empreignent de magie à la devanture d’une droguerie, royaume des couleurs, d’un chat et d’un balai. Après nous être encanaillés dans le sinistre bar albanais que nous avons fui en emportant un trophée vengeur, l’accueil éthiopien se révéla magnifique. Le festin en valait la peine, dire que nous avions la panse réjouie suffira. Ce fut une très belle soirée de printemps naissant, merci à mes compagnons de virée dans Bruxelles la surréaliste.

P.S. Finalement, le grand sac présente des avantages, j’hésite à m’en priver. Les distraits oublient ce qu’il contient et leur appartient, André comme moi, et les généreux Mérédith et Sara m’offrent des cadeaux rares, ma bibliothèque se pare et s’enrichit. J’autorise les envieux à m’envier mon exclusivité, Tout au milieu du monde est superbe, texte et illustrations. Julien Bétan et Mathieu Rivero aux claviers, Melchior Ascaride aux cordes graphiques, bravo le groupe des profondeurs, bel album !

Les curieux amateurs d’images ouvriront la page d’hier illustrée de quelques photos : Foire du Livre de Bruxelles, mars 2017

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