Frans Masereel : encore, toujours, et peut-être un peu obsessionnel.

Il fait construire en 1924 une petite maison en 1924 à Equihen-plage. C’est amusant, il y a plusieurs années, je rêvais d’aller passer samedi et dimanche là-bas, me promener dans les dunes et loger dans ces drôles de baraques construites par les pêcheurs à l’aide de barques retournées. Aujourd’hui un folklore, hier une nécessité économique, elles offrirent au village un charme inattendu. Mais Masereel acquiert une maisonnette, un atelier avec vue sur la Manche, qu’il a racheté aux héritiers d’un couple d’artistes originaires de la région, Jean-Charles et Marie Cazin. Il y séjourne trois mois par an, vers Noël, pour s’abreuver à l’eau, l’air et l’odeur de la mer. On comprend que cela me le rend plus sympathique encore.

Le peintre s’intègre si naturellement au paysage que les habitants et lui-même s’adoptent mutuellement, Masereel jouera de l’accordéon dans les mariages ; il reviendra parfois hors son séjour annuel pour animer une fête et peint les ouvriers de la mer, pourrait-on dire, après avoir gagné leur confiance et leur amitié. Il paraît qu’un jeune garçon, d’après sa veuve (qui put l’épouser, la vie est bien faite) et les colonnes du site d’Equihen, fut sauvé de la noyade par le graveur : il avait vu une tache danser sur l’eau depuis son atelier.
En 1939, Masereel s’exile dans le sud. En 1940, les offensives allemandes ravagent la maison. Entre 1939 et 1945, une grande partie de ses œuvres à Equehin, ou chez lui, ou encore chez son galeriste à Paris, est détruite ou volée.

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Joris van Parys, son bibliographe, apprend que Frans Masereel chérissait particulièrement ces deux strophes qui commencent L’homme et la mer, de Baudelaire. Elles me conviennent à moi aussi, comme le rivage au bord de la dune qu’il a vu.
