Par les temps qui courent et s’expriment en rafales, faire un bœuf poétique à quatre mains devient l’exception. Quand la somme des strophes entrecroisées plaît aux deux joueurs, l’un dit : « Gardons le bon souvenir de l’improvisation ! » L’autre répondit « Oui. »
Une nuit de dimanche 2016, avec Julien Bétan :
les grands yeux d’observatoire
ouvraient sur l’infiniment lointainleur regard lourd de gravité
réduisait l’espace en silence
à la vitesse de la lumièreles soucoupes et le satellite
de leurs pupilles exorbitéesrenvoyaient un vacarme lisse,
à l’unisson, sous le plan de l’éclipse
et leur révolte figeait le tempsun corps étranger culbutait
d’étoile en planète et batifolaitau muet tumulte étoilé
l’astronaute émettait un bruit parasite :
révolution permanente !alors qu’il rebondissait élastique,
l’astre folâtre nota, affolé,que cette obscurité grave résultait
d’un signal vibratile, élusif, précaire,
sonar erratique d’un aimant puissantau cœur de la nuée chatoyante
apparaît la queue d’une comèteelle jaillit dans le champ stellaire
une fulgurance au sein du tableau
qu’elle érafle d’un paraphe iridescentlettres de braise,
têtes de feu qui dansentlunes blanches d’un essai
qui dans la nuit hésite
avant de retourner au néantle rituel obscur embrase et scande aux nues
le chant sidéré des corps célestesla veilleuse à l’observatoire
unit son bref accord à l’hymen
et consumée s’éteint – ecce homo

L’extrait reproduit par le bandeau est issu du tableau L’œil cacodylate peint par Francis Picabia, dadaïste notoire, qu’il commença en mars 1921 et termina avec une foule d’amis le dernier jour de l’année. Ce tableau devint l’ornement d’un restaurant baptisé, en décembre 1921, Le Bœuf sur le toit en hommage au ballet de Darius Milhaud et Jean Cocteau, écrit dès 1919 mais créé en février 1920. Cependant, le compositeur jouait pour le plaisir, par exemple en compagnie de Georges Auric et d’Arthur Rubinstein, depuis février 1921 à l’adresse précédente du même établissement, alors nommé La Gaya — vous avez suivi, j’espère ! Le Bœuf sur le toit accueillait à peu près tout ce que Paris comptait d’avant-gardistes pendant les Années folles. Les musiciens de jazz prirent la relève et vinrent y jouer entre eux, sans façon, après leurs heures payées dans les cabarets de Paris, et ils inventèrent l’expression « faire un bœuf ». L’occasion offerte par notre bœuf était trop belle pour ne pas raconter la petite histoire édifiante des improvisations collectives dans tous les domaines artistiques, de la poésie à la musique et à la peinture, lesquelles existèrent, à coup sûr, sans qu’il en reste beaucoup de traces célèbres sinon un tableau et un ballet, mais certainement apportèrent aux joueurs beaucoup de plaisir. J’aime à le croire, en tout cas.
Plus précisément : « Un boeuf sur le toit du monde »… Beau duo stratosphérique et atmosphérique, merci.