Cette nuit, je découvris par le plus grand hasard un document anonyme versé à la Section des explorations africaines du British Museum, assez extraordinaire puisqu’il relatait le voyage de trois jeunes artistes, Edith et son frère (prénom illisible) Robinson, accompagné de son épouse écossaise, Claire Ildebrac. L’article rédigé au début des années 1900 commençait par la mention de liens familiaux des deux premiers avec un foyer d’artistes installé dans la banlieue londonienne.
Je sursautai à la coïncidence. J’avais en effet achevé quelques jours plus tôt une courte biographie de Thomas et Charles, les frères aînés de William Heath Robinson, le plus célèbre illustrateur de tous, dont parlait mon camarade André-François dans une monographie à part pour la série des artbooks féeriques — « Publications prochaines aux éditions des Moutons électriques, ne les ratez pas ! ». Au cours de mes recherches, d’autres membres Robinson s’étaient révélés peintres également et l’un d’entre eux, sculpteur et… moine, une conversion pour le moins surprenante dans cette tribu prolifique et grégaire.
L’anglais académique employé me permit de dévorer l’article avec une fluidité rare qui ne laissait aucun doute sur l’aventure incroyable des ces trois Robinson, dont une par alliance, décidés à se rendre au Soudan, aux sources de l’art africain qui les passionnait, le long du Nil bleu, inexploré. À Rabat, lors d’une escale, Edith avait sympathisé avec une voyageuse à l’allure outrageusement moderne et masculine, laquelle avait séduit instantanément (prénom illisible). Moins d’une semaine après, le couple convolait civilement et Miss Ildebrac ajoutait à son patronyme le nom de Robinson.
La suite est fragmentaire, renseignée par les télégrammes exceptionnels postés vers Londres, depuis les comptoirs coloniaux, et la déclaration administrative de leur arrivée à Khartoum par le consul britannique en fonction. Le trio semble s’être intéressé au projet d’un Américain et d’un Norvégien dont la précédente expédition s’était soldée par un échec, cependant, c’est à trois qu’ils préférèrent s’aventurer dans la même direction. Une note explique que malgré les objurgations à renoncer aux dangers de ce périple invraisemblable, les Robinson ne capitulèrent pas : ils désiraient découvrir l’art des riverains, non voguer sur le fleuve quand bien même il inspirait les fantasmes les plus fous à leurs contemporains. En compagnie de la minuscule équipe locale que leurs maigres fonds permirent d’engager, ils disparurent en direction des hauts-plateaux de l’Éthiopie.
Onze mois plus tard, une femme se présenta au consulat, dans un état lamentable et vêtue comme une indigène. Outre son seul bagage, un paquetage de toile brodée, elle serrait contre elle un nourrisson et prétendait se nommer Edith Robinson. Dans le sac, on découvrit deux têtes réduites et une liasse de croquis étonnants — recueillis par la Section des explorations africaines du British Museum, mais hélas inaccessibles au public non averti. L’article avise en note les chercheurs que la femme et l’enfant s’évanouirent dans la nature après cette unique information, publiée en page de faits-divers d’un journal français de Khartoum, aucune trace officielle n’apparaissant dans les registres anglais.
Bon sang ! m’écriai-je à mon réveil, encore haletante après cette histoire mystérieuse, mais alors les Robinson n’étaient donc pas tous aussi attachés à leur sol insulaire, et je me résignais, malgré le peu de temps qu’il me reste pour conclure le travail en cours, à remanier d’urgence ma biographie.
