Depuis un moment, je voulais parler d’un projet artistique indépendant, mené son bonhomme de chemin pour le plaisir de la personne qui l’entame. En route, une place du voyage est proposée, le passager embarque si les modalités lui conviennent. Le temps file extraordinairement vite malgré le cours tranquille de la randonnée, il y a quelques années déjà que je suis les étapes empruntées par Francis Valéry pour son label Terre Profonde.
Francis a rempli une riche carrière à défaut d’emmagasiner trois sous sur son compte en banque, inutile de présenter les multiples activités de l’homme des bois en faveur de la science-fiction : écrivain, fanéditeur, directeur de collection, essayiste, attaché à la Maison d’Ailleurs, le musée rassemblé par Pierre Versins, etc. Je le connais depuis longtemps aussi, une camaraderie à éclipses. Rien à voir avec des fâcheries, mais tout avec des parcours qui se croisent et reprennent la conversation inachevée pour se séparer à nouveau jusqu’à la prochaine rencontre. Je n’avais pas atteint la trentaine la première fois, nous étions « aaapaiens » réunis par notre ami commun, Philippe Caille, fanéditeur fou des productions d’Aristide Lendin. La suivante, Francis rêvait pour la revue Cyberdreams à Nancy lors d’une rare convention que j’ai fréquentée. Plus tard, dans les jardins virtuels d’internet, nous avons correspondu pour parler de culture, celle qui s’épanouit dans le terreau quand Francis se réclamait jardinier de la Lune. Peu perspicace, je ne l’avais pas reconnu sur le réseau social Facebook, dissimulé par un pseudonyme, mais je finis par comprendre qui m’avait contactée au bout d’une année.
En 2015 démarre une aventure musicale de l’homme montagne, comme il se nomme souvent. Elle a commencé par un financement participatif autour de Jules Verne, Zacharius, poème symphonique, une autre manière d’envisager la promotion jusqu’à là classique des lectures et musiques du studio MindTheGap. Deux CD pour cent huit minutes d’histoire résultèrent, ainsi que les fonds et les amateurs nécessaires pour continuer d’avancer. Depuis, trois albums sont sortis, d’abord Kogarashi dont a parlé Leo Dhayer sur son blog à l’enseigne de l’Ours danseur : Kogarashi, un beau CD libre et gratuit de Francis Valéry, une chronique intéressante que mes compétences en la matière sont incapables d’assurer aussi bien. Le suivant, Rêves d’Hippocampes, présente une douzaine de chansons à texte, résurgence des « singers » près de la maison bleue des seventies, le dernier, Autumnal Meanderings ou Flâneries d’Automne, reprend les textures électroniques de Kogarashi. Chaque album donne l’occasion à Francis de nous instruire sur sa démarche, ses recherches, ses essais, ses doutes et ses enthousiasmes ; il n’a jamais été avare de mots, et j’avoue qu’à l’époque des 140 signes d’un tweet, j’accueille avec délice la prose « longue forme » — on ne se refait pas !
Terre Profonde est un projet humain, je veux dire par là que loin de se présenter comme une énième production géniale à laquelle on doit souscrire pour être dans le vent, il est le fruit d’une passion que l’artiste partage. Il réclame l’attention bienveillante d’autres humains et leur participation financière, afin que perdure la diversité d’une culture bien malmenée par le commerce enclin à promouvoir à grand renfort publicitaire « ce qui marche » — et l’on croit entendre sonner un tiroir-caisse comme le four à micro-ondes dans les fast-foods. Si j’ai pu vous y intéresser, j’aurais gagné ma journée sans bling-bling pénible. La suite est ici : Terre Profonde.