Quand sonnait l’édition de Minuit

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
in « Demain », Robert Desnos, 1942
Mantra de l’avaleuse de livres

Un souvenir percute le présent, ce jour-là c’était Walter Mehring et la bibliothèque qu’il sauva en l’enfouissant dans son esprit, et Desnos, quelques vers noté il y a deux ans. Aujourd’hui, sur mon bureau est posée une édition de 1945 des Éditions de Minuit, des poèmes réunis après-guerre qui furent publiés et distribués dans la clandestinité pendant l’Occupation.
J’aime Desnos, et j’aime Vercors. Chaque fois, quand je pense aux plus sinistres épisodes de l’Histoire (trop souvent), je les lis en m’interrogeant sur la capacité de résistance à l’horreur du quotidien, et comment s’en sont-ils sortis — enfin, non, pas Desnos —, et ils me donnent une partie des réponses.

Ah ! Je consens à te délier de ta chaîne
Haine plus dure d’être sans cri et sans haine
Donne à mon cœur la force de ne pas pourrir
Donne à mon corps celle d’attendre pour mourir.
Extrait de « la Patience », signée Roland Dolée à Pâques 1943, alias Vercors.

L’Honneur des poètes, paru en 1945. Les éditions de Minuit ont été rachetées par Gallimard en cette fin de juin 2021. (Un Gary Larson acquis le même jour)

Dans ce mince recueil, un autre poème me touche profondément, il est signé Camille Meunel, une déportée, on ne sait rien plus, pas même aujourd’hui : une anonyme sous pseudonyme, personne n’en a réclamé la propriété. Va savoir si elle est revenue. Sa rage me transporte, la colère l’accompagne et c’est elle qu’elle retranscrit pour marquer au fer rouge l’ignominie du triage de Drancy.
Tout le texte, « Drancy », écrit dans le camp en décembre 1942, heurte au plexus.

Petits mecs, allez-y ! vous êtes la force.
Armée !
Ah vos souliers pointus et vos vestons mal faits,
Bourreaux d’enfants perdus et de vieilles sans dents !
Roulez en Hispano, il faut en profiter,
Profitez à crever ! Tout le monde crève :
Vous en avez tant vu des innocents crever.

et s’achève ainsi :

Ces vitres sur la mort où s’accrochent nos jours
Pour voir, dissimulés par un mur de briques,
Amant, enfant, ami, la police épie,
Ne faites pas signe, bonjour est interdit.

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