Mais présence et absence sont le même unique mystère, par quoi la couleur fleurit, en quoi la forme respire.

Depuis quatre jours, je suis invisible.
Ce n’est ni faux ni vrai, bien sûr, puisque je n’ai pas égaré mon opacité, j’existe exactement comme le jour d’avant. Alors, disons que j’ai choisi de l’être davantage, invisible, en abandonnant la station devant le miroir déformant à multiplier les grimaces pour attirer l’attention. Je l’ai rempli consciencieusement, mais ni burlesque ni triste, le métier de clown ne me convient pas.
Quatre jours et mes contorsions de cinq années se sont diluées dans la mémoire de Facebook après des adieux émouvants, car j’ai veillé à fermer le rideau avec affection et courtoisie. En leur compagnie ont disparu presque tous mes contacts, en quatre jours, malgré la passerelle que j’ai construite entre là et là, au même endroit puisqu’il est virtuel.
Une vague mélancolie persiste, il y avait si peu de visibilité qu’elle s’évanouit comme une volute de fumée quand je grille une cigarette à ma fenêtre. Aucune surprise, pourtant, et je n’éprouve pas de regret sinon d’avoir différé l’abandon de ma représentation pour entretenir une illusion. Pendant longtemps, alors que déjà je percevais l’inanité de mes efforts d’intégration sociale en réseau, je m’imaginais l’importance de ma présence auprès des personnes que je côtoyais ; une erreur de perspective un peu trop arrogante, au temps pour les remords, je n’en ai pas non plus.
L’invisibilité possède un charme certain, d’ailleurs. Mon profil public détruit, j’élabore des stratégies pour imprimer mon empreinte — après tout, j’ai tant mis de cœur à l’ouvrage afin de partager mes passions que je me dois bien de les entretenir, question d’amour-propre. Et puis le temps libéré, je travaille, j’écris, je lis, j’illustre, je réfléchis, je.
Je ne m’entends pas si mal avec moi-même quand je n’espère rien de plus que faire au mieux ce dont je suis capable. Mais pas plus que recluse ou cachée, j’ignore et dédaigne le monde. Là et là, une passerelle approximative ainsi qu’informel, un réseau mouvant pour travailler, écrire, lire, illustrer, réfléchir entre nous autres, invisibles.


Edward Hooper : croquis pour « Morning Sun », 1952, et citation d’Yves Bonnefoy, « La photosynthèse de l’Être », in Edward Hopper, 1989.

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