Pourquoi ? Comment ? Dans quel état j’erre ?

Se poser la question « Pourquoi écris-tu ? » n’a pas de sens, ou bien trop ; y répondre est compliqué comme expliquer pourquoi l’on parle ou garde le silence. La survie ne l’explique pas, l’écriture n’est pas aussi nécessaire que respirer, manger, dormir. Peut-être faudrait-il plus l’apparenter au sel de la vie, et autres considérations vaseuses, diverses selon les individus. Mais il y a moyen de répondre à la question « Comment écris-tu ? »

Hier, par trois fois on m’a suggéré que je prenais trop à cœur mes textes de fiction… C’était comme invoquer Beetlejuice ou Candyman, ou encore Mary devant un miroir pour déchaîner l’enfer, le meurtre et la typhoïde.

J’ignore comment je pourrais écrire sans cet investissement organique. Je ne nie pas la possibilité pour quelqu’un d’autre, pas pour moi.

Je tente vainement d’envisager une approche froide, à l’instar des articles bibliographiques dans lesquels je contrôle mon ressenti au profit des informations. Quoique n’étant pas assurée de leur intérêt, ceux-là ne me posent jamais de problème insurmontable lors de l’écriture. Je me place dans le domaine de la réalité et je maîtrise assez bien la langue pour les rédiger si ce n’est agréablement, au moins avec la tenue de rigueur. Le cœur conserve son rôle d’outsider, je ne le sollicite pas pour en offrir des morceaux aux lecteurs, il intervient seulement pour ajouter ma sincérité et, surtout, rappeler que forcément j’expose mon opinion, mes conclusions, toutes relatives hors faits précis. La littérature ne relève pas de la science exacte et je n’en suis pas une maîtresse à penser quand je l’étudie. Les corrections ou les contradictions sont, non seulement acceptées sans état d’âme, examinées à l’aune de la raison, mais aussi les bienvenues : le sujet ne m’appartient pas.

Mais la fiction…

Si prendre à cœur la fiction s’avère un défaut rédhibitoire, je ne peux plus en écrire. Je ne pense pas détenir la force pour abandonner ce muscle moteur, à aucun moment, ni avant, ni pendant, ni après la rédaction d’un roman. Naïve, je croyais qu’il entrait pour la part du lion dans l’intérêt que mes textes ont suscité ces trois dernières années. Peut-être. Mais on me reproche cet investissement charnel et on l’accable après que l’histoire est finie, il faudrait alors que je le blinde et supporte sans broncher et sans angoisse ce qui l’atteint, raisonnable ; et franchement, que je ne fasse pas suer le monde en braillant depuis ma tranchée.
Et donc, après des mois en face à face avec mon texte, incertaine, consciente de mon manque d’expérience, soupçonnant toutes les malformations, je prends trop à cœur mon isolement pré et postnatal, sans sages femmes et hommes pour m’aider à soigner et vêtir le nouveau venu, je prends aussi trop à cœur les critiques et — il paraît que j’ai tort — je leur donne du cœur à toutes…

Oui, c’est la vérité.

La métaphore n’est pas gratuite, j’ai eu des enfants. Sur mon échelle de valeurs, ils occupent l’ultime jalon ; avec eux, je connais l’expérience de la prise de cœur et jamais, avec ou sans soutien, je ne la lâcherai… Là, arrivée à cet endroit de mon discours, on me chuchote que la littérature diffère largement de l’enfantement, pas de quoi la prendre à cœur. C’est un hobby que n’importe qui peut pratiquer, un sport à épreuves que seuls les athlètes gonflés aux hormones par les maisons de luxe remportent, au mieux un métier de représentant dans les salons, avec beaucoup de courage, car la profession ne paie pas grand-chose.

D’accord, d’accord, je me suis plantée.

Mais que pourrais-je bien vouloir écrire qui relèverait dans mon esprit d’une stratégie de publication ?

Rien.

Tellement de monde démarre sur les starters de la course à la publication que je n’ai plus envie d’enfanter dans ces conditions, avec une difformité pareille ; mon cœur n’est pas à éclipse, hélas.

…et puis, il est un peu vieux et fatigué pour s’aligner, question de temps et d’enthousiasme juvénile.

3 réactions à “Pourquoi ? Comment ? Dans quel état j’erre ?

  1. Beau texte !
    C’est d’avoir voulu garder cette distance qui m’a fait écrire des textes d’un effroyable ennui ces dernières années. Il aura fallu la rencontre avec quelques singuliers personnages pour comprendre que cette distance n’est pas viable. Depuis, j’écris moins vite, beaucoup moins vite, même. Mais mieux. Beaucoup mieux. Y compris si c’est de la fiction. Surtout si c’est de la fiction.
    Pas oublier que ce que tu publies ici, c’est déjà de la publication… Une piste…
    Je me suis enlevé une sacrée épine du pied le jour où j’ai compris que mon blog (et mais chaîne YT dans une moindre mesure) était mon premier vrai support de publication avant le livre. Le livre, au final, ne pourrait n’être qu’un dommage collatéral, voire ne pas exister si ça ne plaît pas. Mais le texte peut exister. C’est important.
    Dans le mondes des littératures de « l’imaginaire », il y a aussi une image hyper formatée de l’écriture qui est véhiculée. Hyper technique, rationnelle. Son défaut n’est pas d’être technique ou rationnelle (ça, ça vient en partie du fait qu’elle est transmise sous forme de conseils d’écriture, sur blogs, chaînes Youtube, fora d’écriture etc), mais juste d’être devenue une norme à transmettre et un appui solide pour la critique littéraire.
    Bref, c’est essentiel de prendre à cœur ses textes de fiction, la seule manière véritable de leur faire dire au texte ce qui n’est pas et ne sera jamais racontable.

    1. Merci, Stewen. Tu déposes du baume sur l’hématome, outre d’apporter une nouvelle réflexion toujours intéressante à propos de nos manières d’écrire… on dira, alternatives.

      1. Mes grosses réflexions du moment gravitent un peu autour de ces questions (avec variantes et tout). Du coup ça résonne. Il ne faut pas hésiter à aller écouter François Bon sur sa chaîne Youtube (ou le lire sur son blog), il donne beaucoup à penser que ces questions de lire, d’écrire et de publication.

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