Parce que je suis prête à tout, même à me mettre en scène pour qu’on prête attention à SOS Terre et Mer, voici un extrait auquel je tiens de la nouvelle que j’ai écrite pour l’anthologie. Comme je me dirige, par la force des choses, je ne peux certifier que l’histoire est bonne, mais simplement assurer que je me relis cruellement… c’est simple, je me déteste.
…
Elle a beaucoup grandi depuis sa visite l’an dernier dans le phare, comme chaque année depuis qu’elle est née sur l’île ; c’est ce que lui a dit son père lorsqu’à l’aube, avant leur départ, il l’a soigneusement mesurée.
Comme toujours, pour qu’elle se tienne tranquille, il lui a affirmé que surveiller sa taille était important. Pendant que transie dans son seul pagne, elle se tortillait pour échapper à son étreinte sous la toise, elle a fouillé ses souvenirs afin de puiser dans les images l’assurance qu’il n’altérait pas la vérité pour lui imposer le mot de la fin. Mais sa mémoire a entreposé en plans successifs dans le passé les voyages au phare, et les plus anciens se confondent entre eux. Ils s’évanouissent avant qu’elle découvre la preuve qu’ils remontent à l’époque où elle ne marchait pas encore : elle grandit sans que l’événement lui paraisse exceptionnel ni au quotidien ni en ce jour tant attendu.
Ce matin, le rituel a changé, une exclamation a échappé à Papa, avec une pointe d’admiration dans sa voix.
« Belle envergure, Jaïna ! »
Surprise, elle s’était immobilisée pour écarter les cheveux que ses contorsions avaient embroussaillés devant ses yeux, elle entraperçut son demi-sourire. L’esquisse éclairait les rides du visage, donnant l’air enjoué à ce père toujours grave ; l’expression inhabituelle alarma l’enfant.
« C’est quoi l’envers de gure ? » lui demanda-t-elle avec suspicion.
Elle vit bien que sa question lui plissait le coin des lèvres comme si un autre sourire allait encore le métamorphoser en homme jeune. Au lieu de cela, sans répondre exactement, comme d’habitude, il a murmuré :
« Une fatalité. »
Et comme d’habitude, il lui a posé la main sur la tête et l’a tout ébouriffée pour l’aveugler sous la masse des boucles. À la caresse familière, une boule a grossi au creux de l’estomac de Jaïna, tiraillée entre l’envie de se réfugier dans les bras si forts de son père, pour qu’il la protège de ce gure, et le désir d’apprendre la vérité.
« J’ai faim ! »
Jaïna a crié pour échapper au poids de ces mots nouveaux, si lourds qu’elle hésite à les assimiler quand ils tombent dans son esprit. Ou pour amadouer ce nœud dans son ventre avec la promesse de nourriture, elle ne le sait pas vraiment. La paume calleuse a glissé de sa nuque, Papa s’est détourné vers la niche creusée dans la poutre où il dissimule son précieux carnet. Il a pris le stylet, le regard déjà perdu dans l’océan de ses iris quand leurs flots bleu gris débordent et envahissent le cristallin, et il lui a dit, impassible :
« Va, Maman te nourrira si elle est bien lunée. »
Grelottante et secouée de fou rire au rappel des rites maternels, elle s’est rhabillée de son poncho avant de filer dans la cavalcade bruyante de ses sabots tambourinant le plancher.
Sur la natte étalée dans la hutte des repas, des fruits en tranche l’attendaient, roulés à l’abri de la convoitise des insectes dans un cornet de palme. Maman avait noué les extrémités d’herbes tressées de perles qu’elle sculpte avec ses griffes dans les coquillages. C’était joli.
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