Réalisme magique

y diré las palabras que se dicen
y comeré las cosas que se comen
y soñaré las cosas que se sueñan
y sé muy bien que no estarás

El Futuro, Julio Cortázar

La page blanche. Elle n’existe pas bien sûr, ni à l’écran encombré de menus et de pop up ni sur le papier toujours déparé d’un grain isolé moins vierge, je le sais, j’ai épluché des feuilles de tout calibre. Quelquefois avec une loupe. La page blanche végète dans mon esprit, je n’ai de goût pour rien, des sursauts pour peu qui ne durent pas. Je n’écris pas trois mots d’histoire sans ressentir une amertume immédiate, l’œil perdu dans la mire pixelisée où je me surprends à chercher mon reflet de narcisse composant un bouquet funèbre à la surface en verre. Parler de celles écrites autrefois par des volontés plus fermes m’enthousiasme alors, dix titres ou cent se bousculent au bout de mes doigts, célébrer un artiste aux illustrations mille fois admirées, ou simplement feuilleter pour le plaisir une revue ancienne et la rêver pour des lecteurs. Je me lève, je m’agite, et puis je peux bien ajouter et multiplier l’émotion jaillie, je n’ai plus envie de dénicher le volume, à quoi bon, je l’ai lu, à qui plaira-t-il autant qu’à moi. Quelle curiosité tressaillira de lire des impressions fugitives de deuxième main ? Je m’imagine alanguie aux camélias à présent, la pose ne me sied pas ni ne provoque mon rire moqueur ; ma joie d’écrire m’a quittée. Pour finir, j’essaye le remède qui toujours me guérit, un livre tiré du hasard et l’ouvre à une page, surtout pas la première, n’importe laquelle, comme si je reprenais le fil quitté un moment plus tôt :

Julio Cortázar : Pages Inespérées – Trad. Sylvie Protin, Gallimard 2014

« Il arrêta de lire le récit, là où un personnage arrêtait de lire un récit à l’endroit où un personnage arrêtait de lire l’endroit où un personnage arrêtait de lire et allait à cette maison où quelqu’un qui l’attendait s’était mis à lire un récit pour tuer le temps et en arriver à l’endroit où un personnage arrêtait de lire et allait à cette maison où quelqu’un qui l’attendait s’était mis à lire un récit pour tuer le temps. »

Depuis, j’attends pour tourner la page.

14 janvier 2015

2 réactions à “Pages inespérées

  1. Je confirme : la pose alanguie aux camélias ne sied pas trop à l’esthète de mule (ou pas trop longtemps). L’actrice russe aux yeux charbonneux qui bondit partout en déclamant son texte de manière expressionniste lui va tellement mieux (heureusement, elle ne dort jamais longtemps). La grande réponse universelle à l’éternelle question : « pourquoi ? », c’est : « parce que ! ». Madame, l’ours danseur vous salue bien… ^^

    1. 😀 Bien sûr, ces fichus « parce que » aussi irritants que les « pourquoi ». Ce n’est pas bien grave, pour que je réussisse à assurer n’importe laquelle de mes poses, il faudrait encore que je me prenne au sérieux, c’est toujours pas gagné.

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