Cliché extrait de Gespräche mit Frans Masereel par Pierre Vorms, 1967.

La destruction est si facile que beaucoup la pratiquent avec des justifications qui m’écœurent, elle leur permet sans douleur d’agrandir leur champ d’action pour briser un objet d’art, faucher une fleur sauvage, brûler une forêt, blesser un esprit, assassiner un animal ou un enfant. Quand la destruction devient un mal nécessaire, c’est un échec qu’aucune justification ne rendra meilleur, la mutilation d’un membre qui ne repoussera pas, une tragédie dont on ne doit pas se louer.
Les destructeurs satisfaits d’eux-mêmes, les destructeurs organisés autour d’une fausse philosophie humaine, de la religion ou de l’argent, les destructeurs raisonnables qui s’accordent le mérite de leur intelligence, les destructeurs qui se pardonnent me font horreur. Ils ne connaissent pas le poids que chaque pacifiste s’ajoute sur la conscience quand il détruit, la culpabilité qu’il accepte et ne cherche pas à glorifier, cette gloire le répugne.
Chaque jour, les destructeurs se moquent de la lâcheté, de la bêtise du pacifiste, lequel résiste à la tentation de les anéantir, les expédier au néant, pour préserver ce qu’il a bâti, mais sa mémoire ne les oublierait jamais et, surtout, une conviction intime le soutient dont il est fier : il sait que vivre et laisser vivre est plus difficile que tuer pour vivre. Le pacifiste est un créateur, il connaît la douleur de la destruction, il ne peut l’infliger en se réfugiant dans les schémas mentaux vantés par les destructeurs, quels qu’ils soient, eux et leurs justifications.
Le pacifiste vit avec la mort qui rôde à ses côtés depuis sa naissance, il ne lui accordera rien qui pèserait sur son bonheur d’exister parce qu’un être vivant a souffert. La mort est une fin, tant qu’il le pourra, il ne lui sacrifiera personne et la fuira, abandonnant ce qu’il a construit aux prédateurs, il partira les mains vides et, dès qu’il le pourra, il créera, sa seule riposte à la destruction, sa joie de vivre. Acculé, le pacifiste entre en lutte et s’autodétruit, il combattra pourtant, même sans arme.
La destruction est simple, il suffit aujourd’hui de presser un bouton. Créer sans l’employer demande l’effort de toute une vie, mais procure la joie cultivée chaque jour, car seule la création est parfaite.

Je sympathise avec des causes, mais je n’honore que le labeur des pacifistes.

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