L’agence de voyages que j’ai consultée n’a pas dû comprendre que je recherchais un séjour sur un rivage au bleu tendre et bordé d’or, à l’ombre des cocotiers. Il m’apparaît clairement aujourd’hui que la préposée aux destinations souffrait d’achromatopsie.
Après ma traversée de la mer Noire à fond de cale, je fus débarquée de nuit pendant que je dormais encore. À mon réveil, un type vêtu d’une tenue folklorique vert-de-gris m’accueillit à l’embouchure d’un fleuve fangeux. Sur la berge enflée de limon bistre, il me criait « On sourit, on sourit ! » en dansant avec son arme à feu. J’ai souri pour ne pas décevoir ses efforts touristiques avant de réaliser, quand ma modeste personne fut propulsée sur le pont de son rafiot, qu’il me proposait une croisière sur l’Oussouri. Depuis, je navigue au milieu des eaux troubles en sa compagnie.
Mon guide paraît atteint de dysphasie, laquelle restreint nos dialogues à l’essentiel, mais il s’exprime parfaitement par signes malgré ses difficultés de coordination assez douloureuses pour moi. Hier, par exemple, il m’a appris avec des gestes explicites qu’il souhaitait m’initier aux coutumes matrimoniales de son peuple. À mon grand soulagement, il vient d’amarrer la barque, le poids superflu que je désirais éliminer pendant mes vacances s’est transformé en muscle et je suis épuisée d’écoper. D’ailleurs, cette activité sportive commençait à me lasser, je n’aurais certes pas eu le courage de pratiquer en même temps la gymnastique traditionnelle qu’il m’enseigne à présent.
Ce matin, il a désigné du doigt la chaîne de pics enneigés au nord et m’a indiqué comment confectionner un baluchon de toutes nos affaires pour que je les transporte commodément. Je crains vraiment que l’agence n’ait pas consacré l’attention nécessaire à ma commande, je suis certaine que les cocotiers ne poussent pas en montagne. Je pense que j’exigerai des éclaircissements dès mon retour…

J’ai écrit ce texte il y a trois ans pour fêter la sortie d’un fascicule sobrement titré 3 aventures dans l’Himalaya, ma deuxième collaboration avec Robert Darvel et Le Carnoplaste. Nous nous étions beaucoup amusés à barboter dans les récits de la collection « Mon Roman d’Aventures » des éditions Ferenczi, je les possède tous serrés dans un grand carton plat, fascinée par leurs couvertures et leurs histoires échevelées. Parce que je me distrayais en découpant et collant les illustrations comme celle présentée ci-dessus, l’éditeur intéressé, un peu fou lui aussi, m’avait demandé de lui réaliser les bandeaux qui précéderaient chaque récit. L’affaire fut conclue, les bandeaux tripotés avec plus d’attention et le fascicule imprimé, on peut même l’acheter !

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