Le hasard tient à m’irriter : après Cervières et Le Rallic hier, il fallut qu’un ouvrage surgisse, aussi sec de cœur et dur comme l’acier trempé dans la même eau baptismale, pour insister dans la démonstration : la littérature pour la jeunesse que l’on colporte aujourd’hui en la parant de « bons sentiments » n’en possède aucun, en vérité. Le roman dont il est question avait déjà inspiré ma verve agacée en 2015, je n’ai pas changé d’appréciation.
Je n’ai pas de chance aujourd’hui. Pour me vider la tête du tohu-bohu du journal braillard, j’avise un bouquin pour les enfants, Les aventures de Criquet, chien édité par SPES en 1936, je n’en attends rien de bon, mais l’histoire animalière, au pire, sera nunuche et gentillet, j’ai vu en le feuilletant dimanche dernier qu’il était secouru par des scouts tout frais et propres.
Eh bien non, Monsieur et Madame Pierre Alciette (suivez le lien pour découvrir à vos risques et périls le couple masqué sous ce pseudonyme) sont infichus d’être seulement bêtifiants, il leur faut aussi déverser quelques préjugés qu’ils ont copiés chez les Zénaïde Fleuriot et autres dames charitables. L’enfant aux lectures, surveillées par ses parents et le brave abbé Bethléem, apprendra que les bohémiens sont d’impitoyables tortionnaires avec les gosses qu’ils enlèvent et avec les chiens de riches, ah-ah-ah.
D’accord, l’indignation me pend au nez à lire n’importe quoi. Cependant, faire une recherche et tomber encore sur le site de l’incontournable madame Toute-reproduction-même-partielle-strictement-interdite, j’entends la respectable tenancière du site Au bon vieux temps de la semaine de Suzette, Madame Nouvelle-Suzette elle-même, shitalors !
C’est vrai, je suis exaspérée d’avoir lu encore l’un de ces articles pleins de componction et de jupons empesés, qu’il vaut mieux ne pas soulever leur carcan amidonné pour ne pas défaillir tant la dame qui les rédige semble se gargariser de ses biographies à ne pas reproduire. Je m’en garderai bien ! J’utiliserai le droit de citation seulement :
En 1928, Pierre Alciette dédie Sous le vieux toit de la palombière à ″mon oncle, Claude Monet″, roman terminé peu après le décès du peintre.
Les Alciette en avaient plein la bouche de leur propre bonté et de leur oncle Monet par alliance, mais à six pieds sous terre, l’artiste ne risquait pas de protester à la dédicace. Si ça se trouve, le tonton se préoccupait d’eux comme de la dernière guigne, car ce n’était qu’un couple de gagne-petit. Je charrie peut-être, mais il faut au moins cette évacuation pour recueillir les eaux sales quand je me lave les mains virtuelles après la lecture aussi orientée d’une soi-disant puriste ; « au bon vieux temps », c’est qu’elle y croit en plus !
Et Jacques Souriau trempe dans l’affaire et accentue le trait pour mieux me décevoir.
Un exemple de cette prose inspirée par les bons sentiments ?
Les aventures de Criquet, chien — p. 95 à 97
C’est vers une roulotte, abritée sous de grands arbres, que m’avait conduit Laurette. Je me trouvai tout à coup en présence d’une méchante femme qui m’effraya terriblement :
— Alors, dit-elle durement à Laurette, c’est tout ce que tu trouves, ce soir, à rapporter… Un sale chien !
(Oh ! cette appellation de « sale chien », comme elle résonna lugubrement à mes oreilles…)
— Et où prendras-tu, continuait la femme, les sous pour le nourrir ? On t’a recueillie, tu le sais bien, par charité. Un bel héritage qu’ils nous ont fait là, les cousins ! Tu n’es pas seulement capable de gagner ton pain. Combien as-tu d’argent, aujourd’hui, à me donner ?…
La petite fille montra quelques sous. Une pièce brillait au milieu. La méchante femme s’empara du tout. Elle était malpropre et laide. Deux petits enfants, aussi répugnants qu’elle, étaient pendus à ses haillons. Ils me virent soudain et, comme je montrais les dents, se mirent à pleurer.
— Va-t’en, mais va-t’en donc avec ton sale chien ! cria la femme.
Tout ce tapage m’énervait singulièrement. Je ne pensais plus à Laurette et à la douceur de vivre auprès d’elle, de la consoler. Je n’avais qu’une idée : fuir ce lieu, cette femme méchante, criarde.
De toutes mes forces, je tirai sur la ficelle, qui céda. Mais, à l’instant même où, me croyant libre, je me disposais à m’enfuir, une main d’homme s’abattit sur moi avec une telle violence que j’en fus tout étourdi.
L’homme m’ayant muselé de ses gros doigts, comme jadis une lourde chaîne encercla mon cou. J’eus beau ensuite aboyer jusqu’à en étouffer de fureur, j’étais prisonnier et l’homme, qui sentait le vin, de ricaner, tout en amarrant solidement la chaîne sous la roulotte :
— Toi, mon vieux, t’étais un chien de luxe… Hein ?… T’aurais bien voulu me brûler la politesse et t’en retourner manger, chez tes riches, des blancs de poulet et de la crème… Le chasser ! T’y penses pas, Martha !… On enverra la petite vendre des paniers avec lui dans les villes. Peut-être qu’y fera envie à quelque belle madame… Celle-là, si elle le veut, faudra qu’elle paye…
Je ne pense jamais sans trembler au temps vécu à l’ombre de cette roulotte, près de ces bohémiens dont nous étions, Laurette et moi, les innocents souffre-douleur.
Que de fois, tout d’abord, la nuit, le jour, j’essayai de rompre ma chaîne ! Impossible. Semblable à celle qui me retenait dans mon enfance à la ferme, cette lourde chaîne eût résisté à beaucoup plus fort que moi. Et puis, l’homme et la femme — Jules et Martha — m’entendaient-ils me démener sous la roulotte comme un forcené ? C’étaient des vociférations à n’en plus finir.
Parfois, Laurette se glissait jusqu’à moi :
— Reste tranquille, Blanco (elle m’appelait ainsi), ils seraient capables de te tuer.
Si, malgré tout, je m’obstinais, l’homme approchait. Et v’lan, et v’lan !…
— Tiens, pour te calmer…
Je recevais une dégelée de coups qui me faisaient hurler de souffrance.
Il fallut bien me résigner. Que d’amères réflexions cette existence d’esclave fit jaillir en moi !…
Je me disais : « Moi qui aimais tant ma liberté !… Et qui avais, avec mes bons maîtres, de si vilains caprices ! »
En 1936, alors que les ouvriers gagnent enfin le droit aux congés payés, le couple Vialatte pleure sur les malheurs des petits enfants riches et leurs chiens si jolis que les méchants bohémiens enlèvent. En 1936… quelle minable exploitation d’un sujet rebattu ! Mais qu’attendre d’auteurs dont l’abbé Bethléem ne tarissait pas d’éloges, d’après la critique rapportée sur le forum d’À propos de littérature populaire ?
Une excellente femme de lettres qui écrit surtout pour les jeunes filles, qui demande le meilleur de son inspiration au Pays basque, qui parfume son œuvre d’esprit chrétien et l’assaisonne d’un parfait bon sens.