Mes camarades de jeu

Mes camarades de jeu… Que vous dire d’eux en toute pudeur au fil de pages destinées à être lues par des inconnus ? Certes, par des proches aussi, et par d’autres personnes amicales que je ne connais pas autant que je le souhaite. Malgré l’attention de tous, que je veux croire bienveillante, je réserverai mes confidences à l’intimité qui entretient la chaleur à mots couverts.

Mais en tendant l’oreille, si vous ne percevez pas ici de chuchotements, vous entendrez les cris de joie dans notre cour de récréation, car nous avons aménagé Redux, notre réseau, pour retrouver l’espace cher aux écoliers. Débarrassés quelques minutes des devoirs et des leçons donnés par ceux qui savent toujours mieux le bien dont nous aurions besoin d’après eux, nous distrayons nos peines subies dans leur réalité carcérale en inventant de nouvelles manières de nous évader, et de divertir les passants intéressés par nos fantaisies.

Les Mains libres, Man Ray & Paul Éluard – éd. Jeanne Bucher, 1937

Avec ces camarades, je me sens bien. Je peux être bruyante autant qu’ils veulent l’être, afin que dans le brouhaha du monde, notre bruit perce sa brume sonore. Et si notre vacarme ne franchit pas une longue distance, ce ne sera pas faute d’avoir essayé d’attirer l’attention sur ce que nous aimons avec la conviction des Mains libres — oui, de Paul Éluard et Man Ray, autant se réclamer des meilleurs iconoclastes, en toute arrogante modestie. Là, je vous parlerai des projets que nous élaborons ensemble, lesquels nous représenteront mieux qu’un profil personnel à l’intérêt discutable pour qui ne vit pas auprès de nous.

Et pour en finir, Tout reste à dire — je viens de lire une troisième fois cet entretien avec Marcel Mariën afin de m’assurer de n’avoir pas oublié l’essentiel, le titre et ces derniers mots qui rouvrent le débat, identiques. Outre le témoignage virtuose d’un esprit caustique sur le surréalisme et ses créateurs, la plaquette a confirmé un sentiment flou pour le transformer en certitude. Rien qui n’est révélé par une phrase particulièrement ciselée de l’interviewé, mais une évidence émergée pendant l’évocation d’artistes qu’il citait en 1970, à présent honorés, sujets de doctes essais, inscrits aux programmes de l’enseignement.

Tout reste à dire, Marcel Marïen, un entretien avec Christian Bussy, 1970 – éd. Didier Devillez, 1997

Mariën, lui, racontait une époque qui ne les admirait pas et les respectait encore moins, un temps qu’ils vivaient et mouraient parfois démunis. Si leurs volontés artistiques ont survécu, c’est en grande partie grâce à l’attention, élogieuse ou mordante, qu’ils s’accordaient les uns aux autres. Alors, sans vouloir entrer dans l’Histoire post-mortem, et même, s’en moquer devient une raison de plus pour prodiguer cette attention si précieuse à mes amis conduits par leurs passions, aujourd’hui, maintenant, et le leur dire.

Tout ceci vous semble immature et digne de Poucette chaussée des bottes de l’ogre ? C’est la vérité, bien sûr : vous êtes chez l’Esthète de mule, nourrie au foin de tous les râteliers, déterminée à ne pas grandir pour épouser la culture en costume trois-pièces, et lui vouer à l’état de nature ses émerveillements naïfs.

Vivre c’est toute une histoire… Il y a plusieurs façons de vivre.

2 réactions à “Mes camarades de jeu

  1. Mariën, bien entendu. Mais Christian Bussy ! Lui dont les émissions sur l’art en général (« Arts-Hebdo ») et le surréalisme en particulier ont rythmé un bon morceau de mes années d’antan à la télévision belge. Et l’auteur d’une grande anthologie du surréalisme en Belgique. Bravo, Christine, tu me pousses à le relire !
    Dominique.

    1. Ravie de t’avoir remis en tête des lectures à relire, Dominique. Je n’ai que cette plaquette, mais je l’ai beaucoup lue, la preuve, en y prenant le même plaisir à « l’écouter ». L’un et l’autre, dans cet entretien, s’ingénient à décaler l’analyse du mouvement, en le replaçant dans une perspective moins académique, et c’est revigorant.

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