Ce confinement est aussi mal pensé et géré que le premier pour la population, vous savez, les personnes vivantes et, en ce moment, en proie à la souffrance avec plus ou moins d’intensité, physique ou psychologique. Le plan de sauvetage est économique, je suppose que je ne vous apprends rien ? Mais pas n’importe quelle économie, seulement celle qui rapporte de l’argent dans les hauteurs et dont la fable capitaliste raconte qu’il ruisselle ensuite, ce qui devrait faire rire aujourd’hui à force, non ? Comme d’habitude, le plan est lancé sans moyens, sans cadre pratique, sans soutien logistique, sans aide sociale à part un peu de sous et beaucoup de répression, et les planificateurs attendent paisiblement l’indignation, les pétitions, et tout l’arsenal des remous sociaux pour lâcher, ici et là, des permissions, des rétrogradations, qui augmentent encore le bazar au sein de cette masse indistincte en laquelle nous sommes ainsi transformés.
Ceci vaut pour tout le monde.
Dans notre microcosme littéraire, car on est bien loin de s’intéresser aux destinées de la culture entière, j’ai pris de plein fouet l’activité des réseaux sociaux autour des métiers du livre, l’impression d’assister à un déferlement de réactions mues par l’affect (ou la démagogie) et de discours de théoriciens bâtis sur leur expérience personnelle (la meilleure, évidemment). Ces auteurs pourvus d’un métier alimentaire, soudain si sensibles au sort des ouvriers, livreurs et employés, et qui en profitent pour taper sur les libraires et les éditeurs, ces libraires en ligne ou inactifs, mais protecteurs, qui manifestent pour l’exigence d’enfermer tout le monde, pendant qu’en coulisses les financiers du livre se frottent les mains, la pandémie achèvera pour eux l’effondrement de la littérature indépendante. Exit des circuits publics les libertaires, les originaux, les marginaux, les bouquineries de quartier et tout simplement les gens du livre qui ne rentrent pas dans les cases commerciales, auteurs, éditeurs, libraires, imprimeurs.
L’ébullition de l’indignation déborde et blesse au hasard, et masque un fait pourtant énorme : l’amoindrissement continu de la responsabilité individuelle, et je ne parle pas de l’obéissance individuelle aux ordres confus du gouvernement. Sans rire, vous pensez réellement qu’à part vous, qui parlez avec véhémence de ce qui doit être fait et dit par vos concitoyens non élus, non PDG, non riches, les autres sont irresponsables ? Vous pensez réellement que chacun d’entre nous qui n’est pas vous n’a que mépris pour la vie humaine ? Vous êtes intimement persuadés que personne, à part vous (et pour les macronistes, Macron le dieu vivant), n’est capable de gérer ses activités avec le souci constant de ne tuer aucun être humain ?
En somme, vous êtes convaincus, comme Macron et la plupart des élus, que nous sommes une grosse masse débile qu’il faut parquer dans les clapiers, et on verra bien, à la fin, qui pourra encore sniffer sa paille. C’est tellement plus facile de gérer le bétail quand il est guidé vers une grande surface et conditionné à coups d’interdictions, d’amendes et de temps en temps tabassé pour l’exemple. Et puis l’économie là-haut se porte plutôt bien, comme ça, tandis que des individus responsables qui gèrent les gestes barrières, l’hygiène, ça n’existe pas. Un individu représente forcément une menace pour tous les autres, d’après vous.
Alors, à tout hasard, j’aimerais vous rappeler que vous faites partie de la masse, avec votre assentiment. Et bravo de votre effort constant pour nous rendre encore plus idiots et dépendants. Bravo pour généraliser, pour oublier les nuances, pour appliquer localement la mondialisation chère aux libéraux. Excusez-moi si je ne vous remercie pas d’écrabouiller toute intelligence individuelle, tout acte solidaire hors enfermement, toute pratique réfléchie, toute tentative de remodeler une économie moins répressive, afin de vous sentir « protégés » en protégeant verbalement le merdier dans lequel on barbote depuis les attentats.

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