J’arrive à Paris par le train à grande vitesse ralenti d’un arrêt long en gare. Une station de métro a disparu depuis ma consultation du réseau, sa suppression bouleverse mon itinéraire.

Un agent de haute taille m’informe sans ménagement que la porte de Versailles n’appartient plus à la capitale. Son talkie-walkie dans une main, l’autre sur son étui revolver, il m’enjoint à me procurer un billet RER sous peine de tomber en infraction lors de mon voyage.

Consternée mais de tempérament sceptique, je m’obstine à emprunter le métro et parviens à zigzaguer jusqu’à Livre Paris 2017. Plus tard, j’apprends qu’un autochtone s’est perdu dans son dédale familier, nous le retrouverons près d’un arbre au crépuscule.

Devant le pavillon de l’exposition, la quantité de véhicules des forces de l’ordre et de vigiles à cravate rouge obsédés par l’intimité des sacs à main indique manifestement que les lieux demeurent parisiens.

Le système complexe de régulation des entrées et sorties que balisent les clones cravatés s’avère efficace dans la lutte antitabac, mon addiction accuse un net recul. Par contre, mon allergie à la bêtise se radicalise.

La multitude d’enseignes et de réclames brouille le quadrillage alphanumérique pourtant clair sur les plans affichés aux issues, je me repère aux odeurs de restauration en rêvant de moutons électriques.

Deux bestioles géantes qui publient chez France Loisirs se dandinent dans les travées, les badauds s’attroupent pour se photographier en leur compagnie et créent un embouteillage. Plus loin, un animal politique en tailleur rose provoque une effervescence analogue.

Je croise pendant quarante-huit heures de rares lecteurs et beaucoup d’auteurs avec lesquels je ris souvent, tous sont sympathiques à quelques exceptions près — une information qu’il convient de traiter avec circonspection, car il est possible que mon expérience relève du hasard et non de la statistique.

Sur la table où je signe mes œuvres impérissables, deux stylos et un livre dédicacé s’évanouissent dans les limbes dimensionnels, seuls les crayons remontent à la surface. De la même manière que précédemment, déduire de ces événements une signification quelconque nuirait au raisonnement scientifique.

Avec des amis dont je garderai l’identité secrète, nous fondons dans une brasserie un club dont nous tairons le titre et les statuts pour conserver la confidentialité intrinsèque de nos desseins. L’heure de sa création indiquée par la bouteille d’eau que nous ne buvons pas est de toute façon un leurre.

Les premiers articles de notre société sont inscrits dans l’opuscule vierge, obligeamment fourni par le Salon du livre aux auteurs en quête de page blanche. Des papillons batifolent entre les feuilles de garde, les sphères divines de la littérature m’adressent un signe bienveillant à l’instar de la licorne en papier déposée dans le film de Ridley Scott.

Bien que le phénomène puisse troubler encore l’idée géographique de l’endroit où je séjournais, je mange la plupart du temps de la nourriture orientale avec les doigts ou à l’aide de baguettes. À la fin du dernier repas en face de Chow Yun-fat qui mordille un cure-dent, j’attrape un TGV sans ralenti cinématographique.

Quand je descends du wagon, le vrombissement perpétuel des machines s’estompe. Sur le seuil de mon jardin, j’entends des bribes de silence, je suis peut-être un androïde et je m’éveille.

2 réactions à “Livre Paris 2017, clichés déglingués

  1. Salut Christine
    Une belle expérience que j’aurais aimé partager avec tous les amis
    Hélas, le temps, hélas la distance, hélas……le travail!
    Un beau témoignage haut en couleurs , tout comme tes histoires chère amie.
    Bonne journée et à très vite

    1. B’jour Jean Luc,
      Le Salon Livre Paris est une expérience, mais belle ? Non, je t’assure que nous en avons vécu de meilleures, et celle-ci ne valait que par les personnes avec qui j’ai parcouru le labyrinthe, comme toujours ou presque. 😉

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