Masereel pour Libussa de Carl Sternheim (Pfemfert, Berlin, 1922)

Carl Sternheim était berlinois quand il a rencontré Frans Masereel, il écrivait des pièces de théâtre provocantes, destinées à bousculer les idées reçues de la bourgeoisie allemande en leur appliquant un traitement de choc. Masereel et Sternheim se sont côtoyés un moment durant ces années 1920, ils ont voyagé ensemble en 1921, et le graveur a travaillé pour au moins deux publications de l’auteur dramatique, et pour d’autres à la même époque dans le milieu intellectuel allemand, comme Zweig. Sternheim accumula les problèmes de censure dès le début de ses écrits, et les procès assortis. En 1912, il s’exilera volontairement en Belgique où il meurt en 1942, il était de toute façon déchu de ses droits à la citoyenneté allemande, non pour ses ascendances juives, mais pour son œuvre dégénérée. Durant sa vie, Sternheim ne manqua ni de compagnes ni d’amis s’il n’eut pas de patrie bien fixe, l’un d’entre eux, Marcel Hastir, que l’on connaît comme une personnalité marquante du milieu artiste belge, résistant et militant, prouva une dernière fois que l’homme devait être attachant puisqu’il fut enterré dans le même caveau à Ixelles en 2011.

Masereel pour Rolland, éd. Ollendorf (circa 1917).

Après cette histoire résumée, trop vite ou déjà trop longuement, nul ne s’étonnera que je perde un temps fou en sérendipité, à lire et imaginer comment les rencontres se sont produites. En Suisse ? Lorsque s’y étaient réfugiés les pacifistes pendant la Première Guerre mondiale, ils résidaient là tous les deux, avec leurs familles, Romain Rolland brandissait la bannière des réfractaires à la tuerie. Se revoient-ils en 1921 quand ils partent en voyage en Allemagne, alors que les Années folles tentent de repousser les horreurs du charnier ?

Frans Masereel et Carl Sternheim, circa 1922.
Frans Masereel et Pauline en 1925 (photoThea Sternheim).

Le graveur toujours banni de Belgique erre de Suisse en France, et en Allemagne, il se lie d’amitié avec George Grosz, avec Stefan Zweig. Masereel en complet rayé, un peu dandy, un peu canaille, et Pauline Thomas, sa compagne, sont attablés au café de la gare à Berlin, avec Carl et Thea Sternheim, sa deuxième épouse, une femme remarquable. Ils se rencontreront encore. Ils parlent de Kafka que Sternheim publia dans le journal Hypérion, avant la guerre. Dans quelques années, l’auteur pestiféré des cabarets berlinois quittera Thea pour Pamela Wedekind, artiste et traductrice, fille du poète et satiriste du Simplicissimus, condamné pour lèse-majesté au temps du kaiser. Thea, elle, a fui l’Allemagne dès 1932, elle vivra dans la misère pendant la Seconde Guerre mondiale, son fils mourra en exil en 1946, sa fille reviendra du camp de concentration pour succomber au cancer en 1952. Carl Sternheim achèvera sa vie avec une quatrième compagne. Malade, il s’éteindra en plein conflit, on l’enterrera, à Ixelles, rejoint soixante ans plus tard par son ami Hastir.

Thea Sternheim (photo Anette Kolb Dichterin 1915).

[…] je garde mon optimisme et je pense que l’humanité arrivera un jour à vivre dans une société dont le système sera quelque chose dans le genre d’un socialisme libertaire. Mais ce n’est pas pour demain !!!
Frans Masereel à Frans Buyens, 28 augustus 1968

Je me suggestionne tant à partir d’une seule couverture de Masereel que j’imagine la photographie des quatre transfuges à la terrasse d’un bistrot, rieurs car il faut rire. La chimère existe dans mon esprit et nulle part ailleurs.

La maison du crime, aquarelle de Masereel, 1913.

 

Le bandeau est un détail de la couverture cartonnée de Lubussa (1922). La plupart des photographies et des renseignements malmenés par mes rêveries sont extraits de l’émouvante biographie écrite en 1995 par Joris van Parys, disponible en publication numérique : Masereel, een biografie. Un beau travail de mémoire, son seul défaut tout relatif est sa rédaction en néerlandais que je peine lamentablement à comprendre, les erreurs que l’on pourrait relever ci-dessus me sont entièrement imputables.

 

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