Nos chimères sont ce qui nous ressemble le mieux. Chacun rêve l’inconnu et l’impossible selon sa nature.
Victor Hugo

Ce que vous tenez entre vos mains est une chimère. Elle n’a ni queue ni tête où vous penseriez les trouver, elle est chaque partie et la somme de ses semblables, la métamorphose matérialisée de nos idées et, avant les nôtres, celles de nos prédécesseurs depuis que les chimères existent dans l’imaginaire ; autant dire depuis toujours, leur existence n’est plus à justifier. D’ailleurs, comment savoir qui d’entre nous est le créateur de l’autre tant, dans leur univers, elles sont souvent supérieures à la représentation que nous peinons à incarner ? C’est cependant ce que nous avons voulu faire, créer une chimère qui soit l’ambassadrice de toutes les nôtres, meilleure parce que nous étions ensemble pour la fabriquer.
Comme souvent dans ces projets un peu fous, portés par des imaginations enthousiastes, la genèse de Bestiaire humain paraît accidentelle. Elle l’est pour nous puisqu’il a fallu des rencontres particulières et des circonstances exceptionnelles, mais dans le fond, il ne fait aucun doute qu’elle serait née naturellement dans un foyer similaire, de la même manière qu’elle a déjà émergé à des époques différentes. À l’exemple de ce qu’ont tenté les remuants de toutes espèces, irrités par les carcans, avec l’arrogance, mais aussi l’énergie et la témérité qu’on peut avoir quand on agit en se moquant du courant, nous sommes fiers et satisfaits d’avoir réalisé cet objet littéraire et graphique étranger aux instances commerciales. Il a été écrit et illustré, corrigé, mis en page et sous couverture pour nous faire plaisir sans aucun impératif de taille, de genre, de style, de mode ou de bénéfice, une utopie modeste, mais déterminée à demeurer hors normes. Attention, il n’était pas question d’onanisme obscur ni de rodomontade indigeste destinés à choquer ou dédaigner notre prochain, vous qui lisez à l’instant, mais un défi d’artistes et d’amateurs unis qui veulent se libérer des contraintes et montrer l’expression qu’ils ont à offrir en toute liberté.
Dans ce laboratoire virtuel, nous aurions pu enchâsser un monstre de Frankenstein avec tous nos morceaux disparates, c’était un écueil envisagé en voulant mêler mots et images sans étiquette normalisée. Pourtant, il faut croire que nous partagions l’essentiel, et l’avons augmenté et amélioré au fil de la conception : un état d’esprit, ce petit quelque chose harmonieux qui entraîne la cohésion et la cohérence. Peut-être sommes-nous des « esthètes de mule », un caractère que nous revendiquions, mi-sérieux, mi-frondeurs, il y a plusieurs mois ou plus avant, quand l’idée même de cette anthologie n’était pas encore venue danser dans nos pensées. Individualistes et communautaires à la fois, désireux de nous dépasser, mais indifférents à la compétition et persuadés qu’à plusieurs, nous frôlerions la grâce chimérique, c’est dire si nous sommes fous…
Et idéalistes, nous voulons partager notre créature animale et humaine, présente et absente dans l’espace et le temps, notre exposition métisse et riche de promesses tenues, notre Bestiaire humain, avec vous, lecteur utopique !

2014

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J’ai écrit cette introduction pour Bestiaire Humain, avec une forme de naïveté consentie. J’en ai avalé des couleuvres depuis, des pâles, des vertes, des brunes, des noires qui vous mordent le cœur. Esthète de mule, peut-être étais-je la seule, ou la seule à l’être encore, à être l’innocente les mains vides, mais quelle importance à la fin que d’autres plus intelligents ou plus forts gardent les leurs pleines, puisque je me moque de posséder. J’accepte ce que l’on me donne, je donne sans compter, mais ce que je veux, que j’exige, que je prends, c’est la liberté de créer et vides, les mains aident mieux que pleines. Je ne consens plus à la naïveté, quelquefois je regrette la chaleur qu’elle diffusait dans mes veines. Je ne regrette pas de l’avoir éprouvée, mais de l’avoir perdue, la confiance n’a plus le même goût ensuite. Le monde est dur et le monde est frileux, jaloux de son maigre confort, il se protège et son égoïsme s’est transformé en vertu. Et pourtant, dans ce monde, je continue de poursuivre les chimères, les mêmes encore, et je ne sais pas comment m’arrêter.

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