Miss Helyett, onzième fille du pasteur Smithson, séjourne en France avec son père, un Américain de stricte éducation. Pourtant, malgré la prude moralité qu’il a inculquée à son enfant et James, le soupirant prêt à l’épouser qui les suit fidèlement depuis Chicago, Smithson estime qu’une demoiselle ne doit pas quitter le célibat sans expérience ni choix. Pourquoi l’a-t-il menée dans un lieu de villégiature cosmopolite et mondain, fréquenté par des artistes, au cœur des Pyrénées, demeure un mystère non élucidé pendant le déroulement de cette opérette de 1890.
Mes connaissances musicales à propos des spectacles de variétés au XIXe siècle avoisinent le néant, mais Miss Helyett, livret illustré par un certain Ernest Buval, spécialisé dans le domaine, m’amusait en me donnant l’occasion de feuilleter ce genre d’ouvrages courants à l’époque. Le style de Buval, né en 1839 et disparu après 1900 sans plus de précision, n’a guère impressionné l’histoire de l’art, le dessinateur a pourtant laissé une pléthore d’images presque toutes, voire l’intégralité, consacrées aux partitions. Ici, il s’est appliqué à reproduire avec parcimonie les scènes, figées malgré les indications, lesquelles annoncent de nombreux figurants et des moments cocasses ou mouvementés (galop de quadrille, tourbillon, etc.). Cependant, une mention manuscrite en couverture et sur une page intérieure d’un « théâtre Wolf » m’intrigua. Je découvris ainsi l’engouement pour cette Miss Helyett depuis sa première jusque bien longtemps plus tard, l’adaptation cinématographique en 1933, le rôle-titre joué par Josette Day. Mon intérêt n’était plus motivé par l’œuvre, s’il ne l’avait jamais été, ou la qualité des croquis, mais bien par la révélation d’un petit bout de vie populaire il y a plus d’un siècle : trois générations se sont souvenues de Miss Helyett, ce n’est pas rien.
L’opérette en tant que manifestation culturelle s’apparente assez aux spectacles de la chanson de variété d’aujourd’hui. Bien avant la future démocratisation de la hi-fi et sa miniaturisation, les partitions étaient vendues pour les jouer au piano ou les chanter en famille, les images et les photographies commercialisées afin de décorer les chambres de bonne et les scies fredonnées dans la rue. Miss Helyett rencontra un grand succès depuis sa première aux Bouffes-Parisiens le douze novembre 1890 avec plus de quatre cents représentations. Sa notoriété fit entrer dans les encyclopédies la pièce et ses créateurs, l’auteur Maxime Boucheron (1846 – 1896) et le compositeur Edmond Audran (1842 – 1901), et son interprète principale, Biana Duhamel, nom de scène de Bibiane Augustine Duhamel (1870 – 1910). Les amateurs se reporteront à leur moteur de recherche préféré publié par Choudens Fils aux alentours de 1890. Sachez cependant que plusieurs éditions existent, comme chez Tallandier, illustrée aussi, prouvant d’ailleurs la popularité de l’opérette ajoutée au catalogue d’un généraliste, contrairement à Choudens, maison spécialisée.
Après son premier passage aux Bouffes-Parisiens — Miss Helyett s’affiche de nouveau au programme en 1896 —, l’opérette est reprise en province avec d’autres chanteurs, en 1891 au théâtre des Célestins à Lyon, par exemple. Puis le phénomène s’étend, outre les livrets complets, les extraits de la partition sont diffusés, compilés dans les recueils des airs célèbres, arrangés ou même adaptés pour la fanfare. Nous sommes encore dans le domaine musical, la renommée l’emporte rapidement en dehors de ses limites : Miss Helyett et son interprète, Biana Duhamel, deviennent les sujets d’assiettes en faïence de Choisy-le-Roi et de photographies stéréoscopiques.
La blouse d’armée du salut de la pudibonde inspire la mode comme dans la revue Midinette en 1927 ou les déguisements de bals costumés, fréquents dans les années 1930, mais aussi… le cyclisme ! Deux frères, les Picard, créent en 1919 une manufacture dans le Loiret au nom de leur idole pour fabriquer bicyclettes puis motobécanes de la marque Helyett, en activité jusqu’en 1962. Quand l’affaire est rachetée, il faut avouer que peu se souviennent de l’origine de son baptême, et si certains se rappellent le film vu dans une salle de cinéma en 1933, la Seconde Guerre mondiale a empoussiéré définitivement l’opérette et les phonographes, le yé-yé des électrophones investira les foyers.
Tout de même, 1890 – 1962, belle longévité pour cette toute jeune fille de fiction, car la demoiselle a seize ans quand, dans la pièce, les auteurs dévoilent ses dessous au cours d’une malencontreuse chute en montagne. Retenue par le jupon à un arbuste, sa robe par-dessus la tête, un promeneur lui sauve la vie sans que ni elle ni lui ne s’identifient. Quoique le visage masqué, son intimité fut mise à jour et la morale de Miss Helyett l’oblige à épouser son suborneur inconnu. L’enquête hasardeuse qu’elle mène dès lors avec l’aide de son père donne lieu aux quiproquos et autres refrains légers : un dessin de la scène reproduite de mémoire par le sauveur suggère plus qu’un peu de sage percale exhibée, car le futur mari est peintre de nu, un bohème parisien, bien entendu.
Quant au « théâtre Wolf », je n’ai rien trouvé du tout, un comble !