Les arts quand l’humanité se dévore II

À la fin de l’admirable livret de Panaït Istrati, le postfacier citait un extrait du discours d’Albert Camus qui m’avait touchée, il y a deux semaines. Ce matin, je vois sur la table en bas un petit tas de fascicules de Jean de La Hire, de longues aventures de scouts sous des couvertures criantes de couleurs encore aujourd’hui. Jean-Paul Sartre déclarait que ces histoires échevelées avaient enthousiasmé son enfance et bariolé ses fantasmes d’exploits, ce qui me rappela le reproche que lui fit Camus de s’être installé confortablement dans le sens de l’Histoire.

Les rouages de mes pensées de lectrice empruntent souvent des chemins de traverse, celui-là me ramena en Suède.

Le 10 décembre 1957, c’était il y a 60 ans, Camus lisait son discours à Stockholm pour la réception de son prix Nobel de la littérature. Quelques jours plus tard, lors d’une conférence mouvementée, l’écrivain prononça quelques phrases dont il ne resta qu’un morceau qui fit et fait encore les choux gras de ceux qui n’écouteront jamais ce que l’homme tout à coup face au monde disait *.
Depuis, l’encre a beaucoup coulé, contradicteurs ou admirateurs, et puis les analystes se réclamant trop souvent, hélas, d’une objectivité totalement illusoire, tellement sûrs de la vérité de leurs démonstrations pour expliquer la démarche d’un écrivain qui, lui, doute et s’efforce d’exprimer ses convictions avec beaucoup d’humilité. Je tombai des nues en découvrant des remarques aussi stupides que condescendantes à propos de l’aspect « superficiel » du discours de Camus sur l’art et l’artiste, sujet effleuré et entaché d’une propagande maladroite, bien que sa prestation demeure meilleure que les plats remerciements d’autre primés…
Bien entendu, il a réfléchi quand il a écrit son discours pour un prix dont le poids l’écrasait tout autant qu’il le hissait en haut du podium mondial. Et il a pesé le poids de ses propres mots parce qu’il savait qu’il les porterait désormais. Loin des préjugés colportés par des esprits persuadés de leur clairvoyance, il n’a pas tenté comme eux de s’approprier La vérité, mais d’apprendre à son public la sienne, et tant pis ou tant mieux si des dizaines d’années plus tard elle hérisse le poil politique au creux de la paume des académismes : « L’académisme de droite ignore une misère que l’académisme de gauche utilise », a dit Camus pendant son séjour au pays des nobélisés.

Tout à l’heure, en l’écoutant, j’ai entendu un homme qui fut écrivain et parlait de son métier, de son éthique et de ses efforts pour vivre en humain parmi les autres, sans fierté pour ses défauts ou ses qualités, les mains ouvertes, conscient de la fragilité des espoirs et des volontés pendant nos vies si courtes. Mais je ne m’éterniserai pas sur les idées perçues avec la troublante impression que la plupart m’appartiennent et m’ont toujours guidée quand j’ai osé franchir le pas, j’engage seulement chacun et chacune à écouter ce texte qui témoigne pour les artistes et leur travail pour lequel il est parfois très compliqué de l’expliquer, de se l’expliquer.

Le texte est disponible ici : Discours de Suède à la réception du Prix Nobel de littérature, prononcé à Oslo, le 10 décembre 1957.

* Note : En cherchant ce qui entourait cette citation polémique, j’ai découvert un article qui rappelle l’échange et en apprend la suite contemporaine : Camus, l’Algérien et la petite phrase de Stockholm !  La vie est pleine de surprises.

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