Le Monde Parisien, Journal du High-Life, un jour d’anarchisme

Les imprimés ramassés sur le pavé apportent des nouvelles parfois lointaines, souvent distrayantes, toujours instructives, ou plutôt, complétives comme pour un puzzle dont on sait qu’il ne sera jamais achevé, une pièce se glisse dans mon paysage mental pour colorier un coin de ciel du temps qu’il faisait auparavant.

Le Monde parisien : journal du High-Life. Échos mondains, choses du jour, sport, théâtres, modes, voyages.
Parution du 21 décembre 1878 au 26 janvier 1883. Dessin de Henry Somm.

 

En dépliant Le Monde Parisien, Journal du High-Life, je ne doutais pas de découvrir une presse conservatrice et royaliste, car le bandeau prévenait le lecteur : champagne et bal masqué, snobisme et carnet mondain, la politique épousait l’élitisme creux, les portraits à charge insipides et l’analyse réduite à sa portion congrue de la détestation des républicains. Leur goût artistique surprend quelque peu, pourtant, les voilà qui s’enchantent au cirque et s’émeuvent en chantonnant des refrains tels que J’t’aime mieux qu’mes dindons, j’t’aime mieux qu’mes moutons… ♪♫
Il est amusant de constater que se vantant de l’esprit distingué et de l’impeccable rectitude du fier caractère de l’aristocratie, les rédacteurs à la droite du seigneur étaient déjà incapables de juguler la grossièreté de leurs propos pour engluer dans la boue de leur verve leurs opposants idéologiques. Bien à point pour ma lecture contemporaine ainsi comblée par un sujet qui m’intéresse, ce numéro du samedi 8 janvier 1881 leur offrait une pitance mieux garnie, plus sanglante que l’ordinaire des suppôts de la République à pourfendre, l’actualité leur fournissait un cadavre frais de la semaine à déchiqueter : Auguste Blanqui venait de mourir.

AUGUSTE BLANQUI

Blanqui, lui aussi, est parti avec l’année. Il n’aura pas vu la revanche, ce vieux conspirateur plein d’audace et de naïveté, qui croyait au triomphe de l’archi-république par l’archi-socialisme. Ce n’était pas dans les prisons de l’État qu’il eût dû passer sa vie, c’était chez le docteur Blanche.
Il croyait au prolétariat, à la justice absolue, au transfor­misme, à l’homme-Dieu et animal tout à la fois ; il en savait à ce sujet beaucoup plus que M. Paul Bert et que M. Littré, et il en savait infiniment moins que le plus ignorant de tous, M. Gambetta.
Pauvre cerveau hanté de fantômes et nourri de chimères, condamné à périr sous son œuvre à force de travailler dans le vide. Il envisageait avec une foi imperturbable ce qui sert d’amusement à ses coreligionnaires ; il prenait, le chétif, l’ombre pour la proie, le marchepied pour le com­mencement de la pyramide humanitaire.
C’était la vivante image de l’armée démagogique, tou­jours haineuse, toujours envieuse, toujours rêvant l’âge d’or, toujours prête à tous les sacrifices et finalement toujours dupée par ses chefs.
Blanqui était de bonne foi l’apôtre des jobards.
Le nombre de ses confrères est aujourd’hui des plus restreints.
Mais le nombre des jobards est absolument illimité.
— Index.

En parcourant les douze pages du journal, la similitude des papiers avec les diatribes de l’abbé Bethléem m’a frappée. Comme elles, l’exposition furibonde de détails, destinés en principe à indigner le lecteur, en apprend plus sur l’état d’esprit des revuistes et, finalement, provoque l’intérêt ou l’admiration pour ceux qu’ils fustigent, en complète contradiction avec l’objectif qu’ils poursuivaient. C’est le cas ici quand après avoir dressé un panégyrique à l’envers d’Auguste Blanqui, les opinions sévères de Louise Michel sont retranscrites.

LOUISE MICHEL

Nous ne serions pas surpris que la succession de Blanqui tombât en quenouille et revînt en par­tage à la citoyenne Louise Michel. Personne, à l’heure actuelle, ne sait mieux que la « grande communarde » manier la période sonore et faire entendre le mot Révolution. Quant au sens qu’elle attache à ce mot, la citoyenne Michel ne le connaît sans doute pas plus que ne l’a jamais connu Blanqui ; mais elle est très pressée d’avoir sa révolution. On en peut juger par le langage qu’elle tient à chaque instant.
Je vous recommande d’ailleurs la façon dont elle traite dans son journal, les opportunistes et certains radicaux :
« Assez d’avocassiers, d’écrivailleurs, de Diafoirus, de marchands d’orviétan, d’épaves de tous les naufrages et de dé­tritus sociaux. Ce qu’il nous faut, ce que nous voulons, ce que nous exigeons, c’est le balai anarchiste refoulant dans le bac à ordures toute la crapaudière municipale et tous les in­sectes visqueux qui voudraient se mettre à sa place. »
Pas mal, n’est-ce pas ? Mais attendons la suite :
« Ce qu’il nous faut, ce sont des résolus, — hommes ou femmes, — qui mâcheront la parole nette et brutale, comme on mâchait la cartouche au faîte des pavés insurgés, l’homme du fusil, la femme du pétrole, ceux qui ont au grand jour joué leur peau en 1871 !… Donc, bourgeois ballottés, ren­trez dans vos serres, et cuvez en paix sur vos fumiers, jus­qu’à l’apurement prochain du compte social. »
Les plus purs d’entre les conseillers municipaux n’échap­pent pas aux critiques de Louise Michel. M. Henry Maret est traité de « faux pauvre », de « faux malade », d’« ex- calembouriste au Charivari, ex-marmiton de théâtre au Rappel, d’échine souple, etc., etc. » Le citoyen Krzyzanowski, alias Sigismond Lacroix, est appelé « ex-bureau­crate de l’empire, failli anonyme du journal la Révolution française, encore marqué sur le gras des reins de l’em­preinte brûlante qu’y parafa la botte de feu Cremer, Polo­nais intermittent, etc., etc. ».
Vous ne serez pas étonné qu’après ce débordement d’in­jures et de vérités désagréables, certains radicaux commen­cent à avoir la citoyenne Louise Michel dans le nez, et exha­lent tout haut leurs regrets d’avoir contribué à la faire re­venir de Nouméa.
— X…

Quoique les pamphlétaires prétendent n’accorder aucune attention à ces deux-là, le journal leur consacre une bonne partie de ses colonnes et chaque page polémique exhale une bouffée de ressentiment rageur.
« Hiver nous amène, radieux et pimpant, le nouvel an 1881 qui débute par un coup de maître en frappant de mort ce fou sénile qui avait nom Blanqui. Pendant que ce cadavre, peu intéressant, gît sur un lit de fer dans une mansarde… »
ou
« Dans un article de la Révolution Sociale, où elle développe cette thèse “qu’une bonne hécatombe vaut mieux que des millions d’hécatombes aboutissant au néant pour la nation entière”, Mlle Louise Michel décerne à Mme Graux un brevet de vaillance. »

Ah que ces deux anarchistes opiniâtres les agaçaient, les irritaient, les démangeaient sur toute la surface de leur épiderme si sensible du High-Life ! J’en souriais à l’évocation de Louise Michel, à peine revenue du bagne, assénant quelques vérités cinglantes à tous ces messieurs trop confortablement assis. Elle assistait aux funérailles d’Auguste Blanqui et lui rendit hommage ; entre combattants inexpugnables, l’entente demeure jusque sous terre.
Quant au créateur athée de Ni dieu ni maître — un journal éphémère qui aura marqué plus durablement l’Histoire que Le Monde Parisien —, mort ou vif, il se moquait des supputations de médiocres scribouillards mondains.

Dernière note savoureuse, le directeur de publication Charles Nicoullaud (1854 – 1925) est encore connu, mais pour une toute autre notoriété que celle de publiciste. Sa carrière d’astrologue, antimaçon et royaliste convaincu, ne dédaignant pas les théories complotistes quand elles servaient sa cause, lui survit. Si les articles encyclopédiques ou la BNF ignorent son implication dans un journal, l’information est confirmée par Sofiane Taouchinet dans sa thèse de doctorat de l’histoire de l’art La presse satirique illustrée française et la colonisation(1829-1990) présentée en 2019.
Lors de la parution de ce premier numéro de 1881, la rédaction préparait une réception commentée par Le Gaulois, autre organe conservateur, le 30 janvier : « Le Monde parisien, journal du high-life, vient d’installer princièrement ses bureaux au numéro 5 de la rue Meyerbeer. À cette occasion, il y aura une grande fête à l’hôtel Continental, donnée par la direction du journal illustré. Ce sera un grand bal costumé, auquel sera invité [le] tout Paris. » Bien que ce confrère de la presse ne l’ait pas souhaité, il résume finalement l’unique philosophie politique du Monde Parisien : vivre princièrement. En 1884, le journal disparaît sans tambour ni trompette.

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