La Bibliothèque Perdue de Walter Mehring hante mon bureau, je pratique ce que j’appelle la lecture à la pioche. Lire son contenu d’affilée me semble insurmontable, je ne peux le savourer qu’avec l’esprit dépressif, je ne peux le digérer que lentement pour cette raison ; ou j’ai l’estomac fragile, au choix. J’aime l’ouvrir au hasard et le parcourir à rebours ou à l’endroit ; l’histoire ne nécessite pas une chronologie exacte, l’autobiographie de Mehring se disperse comme les livres disparus de son père, une vie avec le souvenir de souvenirs, l’héritage culturel aussi fantasmé que réel. Ce soir, Mehring marche à travers Prague, il séjourne en 1919 dans la « métropole occulte parce qu’elle n’est située nulle part en Europe ou plutôt dans une plaine astrale » :

Un homme de lettres de mes amis, qui me montrait des curiosités architecturales et littéraires de la ville, salua avec une excessive politesse, devant la statue décapitée de saint Nepomuk érigée sur Karlsbrücke, un passant qui me fit l’effet d’un somnambule atteint de consomption ; celui-ci rendit son salut, comme s’il se trouvait déjà à la lisière d’un autre monde.
« C’était, me dit ensuite mon compagnon en faisant ressortir le temps du verbe, c’était Kafka.»

L’anecdote est belle. Cependant, la statue en question n’est pas décapitée, en tout cas pas aujourd’hui, Népomucène porte l’auréole d’une manière un peu curieuse pour correspondre à sa légende, il a pourtant la tête vissée au corps. Mais je visualise parfaitement Franz Kafka de cette façon, alors, quelle importance que le saint de pierre ait perdu ou non la tête.

 

— Franz Kafka, 1966, collage d’Adolf Hoffmeister, né à Prague en 1902.

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