Très souvent, mes rêves, cauchemars, divagations nocturnes diverses, sont hyperréalistes. Je veux dire qu’au réveil, il me faut les dissiper pour ne pas les confondre avec des souvenirs. Facile lorsqu’ils ont des allures de péplums post-apocalyptiques, de films d’horreur ou de sagas échevelées, mais quand ils sont contemporains, entachés d’absurdité raisonnable, je me précipite sur un moteur de recherche pour vérifier leur défaut d’authenticité. Comme le rêve, récurrent depuis deux ou trois ans, dont je ne sais où je pêche les rebondissements, gratifiants d’ailleurs, d’une rencontre avec un graveur nommé Huijstehr… Le souci du détail, jusqu’à l’orthographe, m’épuisera nuit après jour.
Et je continue de m’inventer ce fragment de vie, dans lequel j’écris la moitié d’un livre d’artistes que Paul Eluard affectionnait, avec toute l’arrogance des rêveurs. Je m’en suis rendu compte en éteignant la lumière, hier soir. Dans l’obscurité, je m’endormais quand s’est insinué un lambeau de ma vie nocturne, Huijstehr me rappelait l’analogie de notre projet, Albert Flocon avait osé. Impatient, il agitait les mains, me reprochait mon désintérêt, s’inquiétait du retard que j’accumulais. Ma conscience engourdie lui répondit que j’avais commencé depuis longtemps. J’ai sursauté. À force de longer le précipice, je chute souvent à la suite de ce déséquilibre courant que l’on ressent à la lisière entre veille et sommeil. Et je me suis souvenu que j’avais entamé le journal d’un naufragé, il y a deux ou trois ans.
À la proue, la sirène enclouée penchait sa figure grave au-dessus de la mer humaine avec l’attention que la multitude exige. Un tel flot de pensées, de sanglots, d’explosions de joie, d’angoisse astreinte à grand-peine et d’universelle apologie, charriés par la vague énorme et tumultueuse, épouvante.
Dans la galère en bois bardé de fers, que leurs occupants protègent des nageurs étrangers la gaffe au poing, l’équipage bannissait les nu-tête dans l’eau maudite et promettait aux cieux sa foi pour l’aigle en jurant leur amour éternel.
La sueur écoulée de mes cals effrita le garde-fou. Je léchai ma paume, la salive eut la saveur salée du sang rouillé. Le balustre céda, je chavirai.
– Ribaud Cruázar
Requiescat in pace. J’aimais le suivre dans son voyage à la manière romantique des peintres et des poètes symbolistes. Je l’ai abandonné dans son univers halluciné, mais mon alter ego de nuit ne doute jamais de l’accomplissement de ses désirs d’écrire, aussi prétentieux qu’ils paraissent. Je l’envie !