Spéciale dédicace à Jean Luc Boutel, en hommage à son émerveillement littéraire pour les faces cachées du monde.

Les robots à tout faire étaient devenus de puissantes machines à calculer leurs actions après résolution de n’importe quel problème, d’une précision remarquable au centième de micron près. Efficaces et infatigables, parfaits, il leur manquait cependant, d’après leurs concepteurs, cette petite étincelle de conscience dont ils souffraient pourtant eux-mêmes depuis fort longtemps. Des souris, misérables cobayes inutiles, traînaient encore dans des cages rouillées du laboratoire. Elles connurent un ultime spasme de douleur et l’on greffa aux automates, leurs cerveaux.

Le résultat s’avéra médiocre au grand dam des démiurges en blouse blanche, persuadés que leurs sujets étaient muets. En effet, l’animal, depuis le temps, s’était arrangé une vie contemplative à suçoter ses barreaux par désœuvrement. Aux commandes de leur corps de métal et de polyuréthane, les bestioles retrouvèrent, en ponctuant leur joie d’irritants cris aigus de casserole, le goût de rogner les fils d’acier et les acétates de cellulose, leur digestion désormais à l’abri carrossé des désordres intestinaux. La situation dégénéra, surtout pour les oreilles de leurs concepteurs, conformées, au cours de l’évolution, à l’écoute des ronronnements de mécaniques bien huilées. La clientèle n’achèterait pas ce concert cacophonique de souris expérimentales, le programme fut donc gelé – quoique personne ne réussisse à capturer les prototypes, particulièrement vifs pour s’éclipser où on ne les attendait pas.

L’un des brillants esprits inventifs, mélomane à ses heures de loisir, s’avisa qu’il existait un autre animal aux appétits contrôlés, réputé pour ses ronrons apaisants. Dénué de toute envie d’une nourriture qu’il aurait fallu grignoter à la sueur de son front, celui-ci attendait d’être servi. « Formidable ! s’enthousiasmèrent ses collègues, contactons une maison de production, qu’elle nous fournisse ces rares musiciens. » Le businessman leur céda tout un orchestre, avec un contrat exorbitant, incluant un pourcentage sur les ventes ad infinita au prétexte que la race était presque éteinte. Tout sourire, le producteur empocha son pactole indu tandis que ses robots personnels déposaient sur les paillasses d’énormes chats somnolents. Les ingénieux créateurs ingénus se frottèrent les mains sur les fourrures caressantes et s’enchantèrent des sons mélodieux exécutés. Dès le surlendemain, les chadroïdes, dotés de cerveaux délivrés de leurs considérables agrégats de chair, graisse et poils, furent mis en service dans l’enceinte du complexe scientifique. La première rencontre avec un exemplaire de la première génération de sourimates fut critique.

« La suite, vous la connaissez, nos cerveaux encapsulés n’offraient guère de différence entre nous, » grinça le vieux guide enroué par l’émotion aux robots-chatons et aux robots-souriceaux qui l’écoutaient sagement, à l’intérieur du musée de l’homme. « La guerre s’est terminée quand nous avons compris que notre ennemi, le véritable, était celui qui voulait nous faire travailler pour lui. »

(Nouvelle courte du 15 mars 2015, revue le 15 janvier 2017, dédiée à l’ami Jean Luc le 19 janvier 2017)

Carte gravée d’un jeu publié en France, anonyme, circa 1610-1650.

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