En attendant Godot

…un jour pareil aux autres — Samuel Beckett

J’ai enfilé mon jean, pieds nus dans mes sandales, la veste fermée jusqu’au cou parce que le temps est maussade.
10 h 45, raté, dans la salle pleine, la file déborde.
La préposée au registre d’appel écorche le nom d’une votante, il n’en reste qu’une embrouille de syllabes mâchonnées qui se termine par un « gnâ » accentué du fond des mines. La jeune femme s’amuse et précise que peu prononcent correctement son patronyme polonais ; le crâne rasé de ses fils et de son époux luit.
Une dame rose à la chevelure blonde et blanche arrive accompagnée d’une fillette toute brune, six ou sept ans, elles rient toutes les deux. D’un geste sans ostentation, l’aînée prend un seul bulletin. La petite attend devant l’isoloir, ses yeux brillants examinent l’assemblée, puis elle glisse sa tête curieuse sous le rideau. Sa grand-mère sort, elle lui demande avec l’index si elle peut saluer les gens là-bas. Les tresses frisottées sont serrées derrière sa nuque, elles tressautent quand l’enfant court leur souhaiter le bonjour près de l’urne.
À côté des sabots, des bulletins frontistes sont éparpillés sur la table. Un couple s’arrête, pique une enveloppe et les feuillets du tour, deux d’entre eux volent pour rejoindre les épaves avant qu’ils ne partent élire à l’abri de la cabine illusoire. Le visage de l’homme qui les suivait, la mine renfrognée, s’éclaire, il en fait autant.
Le jogger à bedaine naissante qui le remplace pioche l’un des bulletins réprouvés. Sa main hésite, il jette un regard furtif au-dessus de son épaule et me surprend qui l’observe. Il suspend son geste prêt à récupérer ce qui traîne sur la table et s’empresse de saisir le second papier dans le sabot. Les isoloirs sont occupés, il doit patienter. Je souris plus largement, railleuse. Il me tourne le dos, les épaules basses, ma joie n’en est que meilleure.
Je suis allée au bureau de vote, mais je ne m’y suis pas rendue seule. Ne comptez pas sur mes aveux et pensez ce que vous voulez.

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