Un peu slave, un peu nordique, des terres du nord souvent, mais aussi latine, orientale et bien d’autres influences, j’emprunte à tous les tempéraments et à toutes les latitudes leurs caractères excessifs. Je me reconnais chez les agitateurs de culture où qu’ils aient poussé, en serre ou dans le désert, en nage dans les chaleurs tropicales ou à califourchon sur une congère. Indifférente à leur nationalité, leur état d’esprit me parle davantage au cœur. C’est un vaste champ d’exploration, je m’y perds souvent et me disperse, en retiens les bribes qui m’enthousiasment et me servent de boussole, car je marche de travers.

Ce qui précède balise en désordre mon chemin dans la rubrique nommée avec audace Creation is perfect, un morceau parmi ceux arrachés aux textes que j’admire, tous écumés dans les œuvres des personnes qui m’ont impressionnée. Vous en découvrirez un peu partout dans ce blog, au fil de mes réminiscences. Ici, deux poètes du XXe siècle, un Russe et un Américain, se partagent mon inspiration, Vladimir Maïakovski et Bob Kaufman.

I am a Camera, Bob Kaufman – Photo (c) Ira Nowinski

Comme deux sous-titres que ce chapitre contient, le titre est extrait d’une poésie The Poet, écrite par Bob Kaufman, suivie d’une autre qui en garderait l’épure, I am a Camera (The Ancient Rain : Poems, 1956-1978, New Directions Publishing, 1981). Je les ai découvertes il y a quelques années grâce à un ami, la deuxième mise en musique par un groupe que j’aime beaucoup, Minimal Compact. Plus je la chantonnais, plus j’apprenais à connaître son auteur, plus le sens m’apparaissait avec clarté comme une exhortation à créer, car l’acte de création est parfait. Peut-être il s’agit d’une interprétation mystique et pourtant je le ressens ainsi quand j’invente une chose qui n’existe pas encore, à nulle autre comparable, parfaite parce qu’elle est unique. L’acte réjouit l’âme bien qu’elle soit sujette aux plus grands désespoirs comme aux envolées de joie pure pendant qu’il se déroule. Ce qui résulte remet vite les pieds sur terre, la création achevée s’obstine à rester imparfaite à mes yeux. Et puis elle ne m’appartient plus tout à fait, elle se soumettra à ce que les autres en percevront, si je leur montre.

C’est ici que Vladimir Maïakovski souffle une voix de stentor dans mon dos. Le mot, libérateur et bourreau, lui était intime et quotidien, le mot qui enchaîne et déchaîne la passion aussi vigoureuse que morbide de l’écrire pour le jeter à la face du monde. À aucun moment, je ne songe à acquérir la force créative de cet homme ni ne lui envie son passage chez les vivants, mais

Pourquoi augmenter le nombre des suicides ? Mieux vaudrait augmenter la production d’encre !

s’exclame-t-il en 1926 dans À Sergueï Essenine, et c’est la prodigalité qu’il a appliquée jusqu’à son propre suicide, parce qu’il désirait ce que nous voulons probablement tous au fond de nous, une perpétuité au-delà de notre brève activité sur terre. Ce désir me taraude et je n’en tire pas de fierté, car le mot galope un train d’enfer et je le suis :

I know the power of words, I know the tocsin of words.

Des vers griffonnés en 1930 dans l’ultime poème par Maïakovski, encore entendus dans une chanson, d’un autre groupe qui m’enchante, Mecano – ah mais, grâce au même ami qu’il faudrait soupçonner de trafic d’influence, Leo Dhayer, on t’a reconnu !

Voilà pourquoi, sans briguer aucune place sur un podium, je dois me publier ou être publiée pour être vue et entendue, pour laisser une trace du passage de mon ego. Aucun motif glorieux, en somme, ne préside à l’ouverture de cette partie du blog à mes activités manuelles, et à ceux de ma jumelle. Des textes, de la poésie, des photos et des collages, ce que je sais faire, un travail auquel je me consacre avec autant de plaisir que d’acharnement pour l’améliorer, dans le secret espoir qu’il touchera un visiteur et l’arrêtera un moment, ému. M’encouragera-t-il à persévérer en pratique ? On n’est jamais sûr avant d’essayer.

Maïakovski, poème sans titre, 1930, extrait – Russe et traduction française littérale

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