Dans la jungle des félines amazones,

pour André, pour nos élans d’un seul pas et nos souvenirs partagés.

Un chat s’est installé chez nous… ou plutôt dans notre pays de félines amazones. Il est apparu il y a quelques jours, et nous le prenions de loin pour la minuscule rousse. Mais avant-hier, en passant à la porte-fenêtre, je l’ai aperçu se débarbouillant consciencieusement les coussins arrière ; sa maigreur et son poil hirsute m’ont alarmée. Pour examiner de plus près celle que je croyais être la nôtre, j’ouvris le carreau de la cuisine afin de l’appâter avec une poignée de croquettes étalées sur ma paume. Elle arriva comme à l’ordinaire, d’un bond miaulant d’excitation enrouée… et son triste doppelgänger s’enfuit pour dissimuler son ombre sous l’arbre-sucette, l’if dévolu d’habitude à la blanche ancêtre de la tribu des moustachues.

Ainsi donc nos féroces guerrières, qui tolèrent à peine le mâle gris infidèle à notre jardin, avaient accepté l’intrusion de cet étranger malingre ! Il ne se laisse pas approcher, le doute demeure quant à son sexe. Il ressemble à une touffe de poils hérissés qu’un animal plus gros aurait abandonnée, comme une mue encombrante, quand il se couche en rond bien fermé aux endroits favoris de nos femelles sans qu’elles l’en chassent. Voilà qu’elles accueillent les réfugiés ! À croire qu’elles m’écoutent rager à l’étage et désirent adoucir mon humeur de chien mal élevé.

À l’instant, j’allai ramasser le courrier éparpillé devant le portail par le temps venteux, le chat m’a interpellée. La disgrâce a épargné sa voix veloutée qu’il porte haut, modulée dans les graves soyeux. Je lui ai répondu, nous avons aimablement conversé. Affaiblie par le charme de son baratin, je suis revenue avec une nouvelle poignée de croquettes, car il n’ose se mêler à la bousculade des commères, dépourvue de violence mais rude, sur l’appui de fenêtre. La triade régnante a bien vu qu’il avait droit au service à part, et pourtant nos déesses impassibles n’ont pas quitté leur aire de repas afin de feuler leur courroux indigné. Eh bien, ce jeune chat — il ne compte pas plus d’une année — est un bonimenteur, il m’a raconté sa vie entre deux bouchées !
J’ignore s’il restera ou s’il est de passage, mais autant en emporte le vent, aucun de nous, bêtes ou hommes, n’a le courage de le renvoyer.

(Envoi : « j’me prends pour la Colette des banlieues, c’pas grave, influence passagère, on s’mouche, et puis voilà », texte écrit le 15 septembre 2015, revu le 19 janvier 2017)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.