Souvent, je déclare en boutade que je suis une personne sociable asociale, les Imaginales n’auront pas démenti ce comportement dichotomique dont je me méfie. L’enthousiasme m’emporte et je n’hésite guère à exprimer ma relation passionnelle avec la littérature lors de discussions enflammées avec des interlocuteurs sensibles, puis une réserve soudaine naît de l’inquiétude quand je ne décrypte pas les signes sociaux que j’observe continuellement, ou auxquels j’accorde une importance excessive, trop attentive à leur signification. Pourtant, je progresse et m’attache de moins en moins aux détails désagréables, impossibles à améliorer, pour mieux profiter des événements positifs bien plus nombreux. Si le salon d’Épinal paraissait une nouvelle épreuve herculéenne, comme chaque fois que je prends la route pour me rendre dans les festivals, car je suis tout de même une solitaire au quotidien, je l’ai vaincue avec une assurance accrue et plus de sérénité. Je suis récompensée de mes efforts : ces trois jours denses en rencontres m’ont offert une kyrielle de ces joies dont le souvenir embellit l’existence.
D’abord, c’est important de le souligner, les Imaginales sont avant tout festives. L’organisation tend à satisfaire l’ensemble de la communauté éphémère assemblée près de la Moselle pour la durée de leur séjour. Invités, exposants et visiteurs sont attendus et entourés d’attention bienveillante tout au long des jours pour leur proposer un programme autant culturel que distractif sans oublier le confort tout simplement quotidien. Je plaisantais, il y a quelques jours, en postant sur Facebook un message rédigé à la manière d’une pensionnaire de colonie de vacances, mais à la vérité, oui, les animateurs rivalisaient de gentillesse et la nourriture abondait. L’organisatrice Stéphanie Nicot fit la preuve de cet intérêt pour chacun lorsque je la croisais à l’accueil pendant que j’expliquais qu’une raison logistique m’empêcherait d’assister au repas officiel — je logeais en dehors de la ville, trop loin pour rejoindre le gîte à pied. Sans barguigner, elle m’assura d’un retour avec chauffeur, car « il était important que tous les auteurs puissent participer au festin », ou une phrase de ce genre qui affirmait sans réplique que les problèmes n’existent pas lorsqu’on leur donne une solution. Que dire sinon qu’être soignée aux petits oignons adoucit la vie, l’équipe de libraires et toutes les charmantes (l’adjectif les qualifie objectivement) bénévoles l’ont prouvé à chaque instant. Je me souviens en particulier d’un expresso transformé en double et servi avec sollicitude devant ma mine épuisée, mais surtout, je remercie l’ange gardien discret qui veillait à la réception de mes livres vendus et m’a écoutée pendant trois jours alors que je lui tournais le dos. Je ne risque pas d’oublier cette jeune fille adorable qui m’a encore émue pendant la dédicace d’un exemplaire des Papillons géomètres à un couple. Comme je demandais quel destinataire inscrire, la dame me répondit qu’elle était postée derrière moi, je me suis retournée, stupéfaite, pour recevoir un sourire resplendissant et des paroles d’une telle gentillesse que je suis encore confuse, et très fière de les avoir méritées après toutes mes jacasseries.
Mes amis et mon équipe éditoriale, au sens large des membres des Moutons électriques dans les coulisses ou sur la scène, m’avaient répété pour m’encourager à venir que je découvrirais, malgré mes doutes, les lecteurs et l’énergie qu’ils insufflent à l’ego pas toujours bien gonflé de l’auteur. J’avoue que tous ceux qui se sont exaspérés sur mon cas de pénible incertaine avaient raison. Voilà, c’est fait, et n’y revenez pas en susurrant que vous me l’aviez bien dit ! Oh, je n’ai pas reconnu immédiatement avoir eu tort de douter, même quand la première personne s’est arrêtée à ma table uniquement parce qu’elle avait lu mon roman et tenait à m’apprendre qu’elle l’avait aimé. Toutefois, l’événement s’est répété, et encore, et encore, accompagné de discussions passionnantes sur la littérature, alors je pose les armes, vaincue par ces merveilleux lecteurs qui parlent si bien de livres, qui s’intéressent à mes goûts pour les romans que j’ai lus, à mes projets les plus fous, notre Redux et ses blogs d’artistes et de passionnés du langage écrit, les peintres féeriques en gestation pour naître l’automne prochain, ou à mes publications plus confidentielles.
J’ai bu du petit lait à la visite d’un fan enthousiaste de Bestiaire humain, et j’ai regretté que toute notre compagnie de l’anthologie ne soit pas présente pour entendre chaque compliment, chaque mot qui démontrait à quel point notre lecteur avait compris et apprécié notre bouquin. Surprise, j’ai appris aussi que l’objet autant que l’initiative avait suscité l’intérêt des 42, tout comme mon roman… j’ai appris beaucoup de choses que j’ignorais, isolée dans mon bureau qui communique seulement par l’intermédiaire du réseau, trop souvent anonyme et parfois peu sympathique. J’ai pu observer en direct sur le visage des gens attirés par la superbe couverture des Papillons géomètres la curiosité se métamorphoser en désir de lire son contenu et repartir souriant le livre sous le bras. Mieux, certains se dirigeaient vers le stand des Moutons électriques afin de se procurer d’autres titres dont nous avions parlé, ou Charlotte Caillou, mon roman jeunesse. Et peu à peu, ces futurs lecteurs m’ont convaincue de la légitimité de ma présence.
La table ronde demeurait le dernier écueil, elle avait lieu en fin de séjour et restait suspendue comme une épée (en carton-pâte tout de même) de Damoclès. J’imaginais mal son déroulement et ce que je pourrais bien dire de mon récit un tant soit peu intéressant. L’animateur a joué un rôle rassurant et en compagnie d’un vétéran, Romain d’Huissier, je crois m’en être sortie suffisamment pour non seulement ne pas trébucher en descendant de l’estrade un peu haute, mais également pour être accueillie en bas, abasourdie, par les félicitations d’une dame de l’assistance, je la remercie. En bref, je remercie tous les lecteurs qui se déplacent pour rencontrer en personne les auteurs et dialoguer avec eux d’une manière aussi positive et valorisante, en tout cas je l’ai ressentie ainsi.
Le panorama resterait incomplet si j’omettais de rappeler l’occasion rare de retrouver mes amis, et tout autant indispensable d’en rencontrer de nouveaux. Membre des Moutons électriques depuis de nombreuses années, je ne cesse de me féliciter de fréquenter la bergerie au complet, douillette et chaleureuse comme un nid en laine, elle crépite d’énergie et d’idées. Notre organisation durant les Imaginales fut à l’image de cet anticonformisme confortable, nous nous amusons en travaillant, l’équipe est soudée mais ouverte à l’extérieur, et les Indés de l’Imaginaire ne se contentent pas de se proclamer associatifs, ils agissent en ce sens. Il m’a toujours semblé que notre diversité nous donnait notre force, et que le mélange nous permettait une complicité joyeuse, étendue aux trois maisons d’édition, équipes éditoriales et auteurs confondus. Et puis, j’ai la chance d’avoir finalement beaucoup de camarades, quelquefois d’une époque ancienne ou au contraire tout récemment, mais avec l’intensité des passions partagées, ils se reconnaîtront sans que je les cite, je crois que c’est inutile de préciser davantage. Cependant, je tiens à noter les trois jours plus qu’agréables que j’ai passés à bavarder, à déjeuner et à rire — sans parler des chiens ! — en compagnie de mon voisin Christian Léourier, dont je lisais les romans depuis longtemps. L’an dernier encore, Dur silence de la neige m’avait beaucoup plu, ce que j’avais fermement écrit dans une chronique de l’ADANAP. J’étais très heureuse aussi de discuter ardemment de littérature et de convictions (très diverses) avec G. D. Arthur ; nous n’en resterons pas là, tant est encore à explorer pendant que le contenu des assiettes refroidit. Et, bien que nous n’ayons guère eu le moment de nous poser, la rencontre avec Florence Dolisi et « son » auteur Jo Walton m’a enchantée, l’anticonformisme et la gaieté me séduiront toujours.
Je me suis promenée seule dans le parc, chalande au milieu des tentes, un arrêt pour fumer une clope lyrique, comme le prétend Melchior, devant une pancarte émouvante, et j’ai ri doucement en apercevant l’autocollant. Ah oui ! Je n’ai pas arraché une minute au programme pour aller visiter le musée de l’imagerie d’Épinal, ma seule déception… peut-être une autre fois, comme dans les histoires.
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Mes Imaginales en photos
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