Le journal et le pain quotidien

Un jour, là, en janvier 2015

 

Mettez-moi l’étiquette qu’il vous plaira, photo à la con ci-jointe.

Il y en a qui auront acheté Charlie Hebdo pour la première fois, des jeunes, des moins jeunes, des vieux. Pour spéculer, pour suivre un engouement passager, pour faire comme la voisine qui a toujours le dernier cri, pour témoigner d’avoir vécu ce moment, pour se donner de l’importance, pour l’ouvrir ostensiblement dans le métro en signe de provocation ou le lire caché pour ne pas se le faire voler, par curiosité, parce qu’on rentrait du boulot au petit matin et en passant puisqu’on s’était engagé dans la queue pour acheter un paquet de clopes, parce qu’on était fan de Cabu quand on était gosse, parce que Wolinski, c’était l’époque des premiers coups de chaud au-dessous de la ceinture, parce qu’on est un vieux con collectionneur, parce qu’on se sent coupable de ne pas l’avoir soutenu avant, parce qu’on a le désir de ressusciter les morts, parce qu’on pense encourager la liberté d’expression, parce qu’on a pris le risque de défiler au milieu des tireurs d’élite qu’on voyait sans distinguer les menaces sournoises dans la foule, parce qu’on a engagé sa personne, ses croyances, sa famille à s’exposer quelques heures, parce qu’on est con, jeune, moins jeune, vieux, irrémédiablement. Il y a tellement de raisons bonnes ou mauvaises à étiqueter, à cadrer dans des statistiques en camembert ou en gratte-ciel, que les recenser pour appliquer un profil type du primo acheteur ne servira qu’à mettre en valeur sa propre opinion. Je m’en fous, aujourd’hui, les gens ont acheté du papier imprimé, un journal sans publicité, un journal d’information fabriqué par des journalistes qui ne dictent pas leur conduite à leurs lecteurs.

Je lève mon verre à la santé de mon fils pour son anniversaire. Vodka Maïakovski, Tequila pasionaria, Rhum nègre marron, Whisky cockney, Genièvre mineur, jus de pommes ou un grand verre d’eau ?… Va savoir.

…et faites gaffe, les livreurs de journaux, c’est chaud comme boulot.

 

Plus tard…

Mon gamin passe par la cuisine avant d’aller à son petit boulot à la con. Je lui déclare que j’ai levé mon verre et deux journaux à sa santé, et que de nombreux amis m’ont accompagnée. Il me réponds, interloqué : « WTF ! heu… Cool… » et il se dirige vers la porte sans plus de cérémonie. Puis, revenant vers moi, un sourire en coin : « Cool, j’ai rien fait de particulier, mais j’ai au moins réussi à vivre jusqu’aujourd’hui, merci ! » En se marrant, il rafle le croûton de la baguette et part travailler. Et je rigole depuis tout à l’heure, oui, la baguette quotidienne…

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